Lana et Andy Wachowski s’associent à Tom Tykwer pour adapter le roman éponyme de David Mitchell. Une histoire complexe et profondément humaniste qui mêle différents récits sur plusieurs siècles. Un pari un peu fou pour les cinéastes, autant que pour les comédiens à qui ils ont demandé d’endosser plusieurs rôles chacun afin d’apparaître dans chaque période.
Le livre s’attachait à questionner le lecteur quant à
la place et le rôle de l’individu au sein d’une société,
et s’interrogeait sur le bien et le mal enfouis en chaque homme. La narration en était plutôt linéaire malgré un procédé d’emboitement assez original. Le film délaisse cette simplicité apparente pour entremêler à chaque instant de nombreuses aventures, et c’est bien là une des forces de l’œuvre : un montage au scalpel, précis, rythmé. Un montage qui maintient
un suspense de tous les instants
sur le sort des personnages principaux à des décennies d’intervalle, et joue constamment de l’imbrication complexe des narrations. Cependant, la complexité et la liberté de lecture du roman ne se retrouvent pas dans le film. Les trois réalisateurs insistent bien souvent sur des liens entre les personnages qui ne sont qu’évoqués dans le livre, de discrètes pistes que l’auteur laisse le lecteur développer. Pour les besoins du spectacle grand public, le film ne peut demander trop d’implication intellectuelle au spectateur et mâche parfois le travail nécessaire à la compréhension globale des intentions du livre. Et là où David Mitchell vante la fraternité et l’empathie, Lana et Andy Wachowski et Tom Tykwer chantent l’amour rédempteur au cœur des hommes. Là où le livre interroge la violence de nos sociétés où la soif de pouvoir de quelques-uns restreint la liberté du plus grand nombre, le film se contente de célébrer
les vertus de l’amour
qui permettent à tout homme de supporter sa morne existence. Une simplification toute hollywoodienne, sans vague et pleine de bons sentiments. Dommage.
La photographie est magnifique, on n’en attend pas moins d’une œuvre aussi ambitieuse. Graphiquement, le film tient du génie.
Chaque récit a une identité forte, distincte,
de sorte que le spectateur ne s’y perd jamais. A chaque récit correspond une charte graphique précise : le fouillis, la crasse et l’ocre du périple d’Adam Ewing autour de 1850 ; la richesse éteinte de l’Europe d’entre deux guerre de Robert Frobisher ; les codes seventies de l’Amérique de Luisa Rey ; la tristesse contemporaine et conventionnelle de l’Angleterre de Timothy Cavendish ; le monde sombre et froid, aux clartés rares et malades, aux couleurs vives d’artifice de Néo Séoul dans un futur plus ou moins proche ; la nature prédominante des terres post-apocalyptique de Zachry. La richesse, le foisonnement des décors, et leur puissance narrative impressionnent.
Tout comme
les multiples prestations des principaux comédiens.
Tom Hanks, évidemment, marque de son talent, plusieurs rôles très différents, mais Hugh Grant et Jim Broadbent ne sont pas en reste et prouvent, si besoin était, qu’ils sont d’excellents comédiens et qu’ils aiment s’amuser. Hale Berry également. Le cinéphile appréciera la présence de Hugo Weaving, notamment pour son rôle de Georgie l’Ancien, diable manipulateur qui fait étrangement écho à son rôle de l’agent Smith des Matrix. Il n’en est d’ailleurs pas l’unique réminiscence, et tout l’univers futuriste de Néo Séoul apparaît comme une variation colorée de leur trilogie – la rébellion à un système oppressant par la reconnaissance d’une élue : Doona Bae, que je ne connaissais pas, prestation impeccable.
Sachons que notre vie n’est pas la nôtre. Du berceau au tombeau,
nous sommes liés les uns les autres.
Voilà la révélation du film, qui était aussi un constat du livre : Cloud Atlas nous rappelle que nos actes ont des conséquences qui nous dépassent de loin, par-delà les âges. Il n’est pas tout à fait question de réincarnation, malgré les choix de mise en scène. Le film tisse une toile de fond par l’imbrication des récits pour développer une idée : l’amour nous survit.
L’amour est un des leviers du monde.
Un appel à la bienveillance, un rappel de l’importance de la fraternité dans le développement sain et serein des sociétés. Un hymne à la puissance de l’amour.
Un film magistral, dense, dont le message ne se dilue pas dans la multitude des détails,
bien au contraire. Une œuvre narrative où tout a sa place, tout a un sens. Où chaque détail, aussi infime soit-il à son importance :
Dans le passé et le présent nous sommes liés, et par chacun de nos
crimes, chacune de nos intentions, nous enfantons notre avenir.