« Ta prison est en toi. Le poison est en toi »
Comme un point de départ, avant d’aller voir le film, mon attention s’était portée sur une séquence de John Oliver (et son Late Night) : le britannique y fait état de 2,5 M de prisonniers aux Etats-Unis, plus qu’en Chine. Surtout, il fait état de dérives et manquements dont les tenants et aboutissants de ce délabrement sont dûs…à la privatisation des prisons. Ainsi de la sécurité en passant par la nourriture et les soins, tout était fait pour alléger la facture pour l’état fédéral en déléguant des tâches à des entreprises privées…dès lors, dans ce souci d’économie, il n’est pas rare de tomber sur l’anecdote consistant à atténuer les cicatrices d’une césarienne sur une détenue en déposant sur ses sutures…du sucre.
« Coldwater » poursuit un peu cette réflexion. Le film aurait pu tenter de répondre sur le caractère vertueux ou pas de la privatisation du milieu carcéral et sur le caractère opportun de la prolifération de structures de redressement pour mineurs. Le film s’attarde plutôt sur la manière dont l’AJRS (société créatrice d’un camp à Coldwater dans le film) se saisit de l’opportunité & sa réponse. On peut parler d’opportunité tant un vide juridique existe autour de ses structures aux Etats-Unis. Que ce soit sur les moyens alloués, les réponses que ces camps apportent et surtout comment arrivent-ils à inverser une tendance, ces structures bénéficient d’une relative tolérance et conjuguent à leur bon aloi leur mission de services à destination de mineurs en perdition. D’autant que ces structures répondent à une demande de plus en plus croissante de parents voulant « recadrer » leurs enfants, les ramener sur le droit chemin, un peu comme un warning avant le « vrai » milieu carcéral en somme.
En visionnant le film, en s’attardant sur les personnages encadrant ces jeunes, on peut littéralement faire sauter ces guillemets. Pour créer un électrochoc et convaincre du bien-fondé de leur mission, cette structure plonge ces pensionnaires dans un mélange d’endurcissement, d’humiliation, de routine aliénante et de système surveillant/surveillé quasi-étouffant. Pour asseoir cette autorité et légitimer donc ce monopole de la violence, quoi de mieux que la figure du bon vieux Marine à la retraite. & que dire des encadrants qui sont…des ex-pensionnaires (voire des pensionnaires très récents). Une manière donc d’assurer une promotion interne & encourager les nouveaux arrivants en leur faisant miroiter que leur rédemption sera récompensée.
Le 2ème choc vient, selon moi, de la réponse apportée aux problèmes de ces mineurs. Un mot d’ailleurs sur ces problèmes : preuve du succès de ces structures, le film montre que la structure ne désemplit jamais. Elle accueille surtout des profils variés, issus d’horizons différents et pour des motifs tout aussi pléthoriques : détention de drogue, appartenance à un gang…école buissonnière…bref, un concentré, de l’appréciation relative des parents face à la dérive de leur progéniture. La réponse apportée à ces menaces en puissance ne tient qu’en une ligne directrice : endiguer par la force cette rébellion plus ou moins naissante, annihiler toute forme de contestation par (un excès d’)autorité, fabriquer des bons citoyens prêts à être réintégrés dans la vie civile. Ne voyez pas dans mes propos un quelconque angélisme voire empathie naïve. Mais le film permet de découvrir la méthode utilisée et ses limites : travaux d’intérêts général, privation, punition, massification des pensionnaires au détriment du développement/introspection personnel, humiliation, le tout sans suivi médical, psychologique et une forme d’institutionnalisation de la peur. Le film montre d’ailleurs l’impunité dont profite la structure avec ces « audits », sorte de réprimande déguisée et mettant encore plus en exergue la souplesse du système.
Et c’est ce qui saute aux yeux dès les 1ères minutes du film : face au caractère insoutenable du quotidien, face à cette (double) injustice que ressentent les pensionnaires (pris par surprise, les ados sont réveillés en plein sommeil et envoyés illico dans ces structures et doivent se plier d’emblée aux règles), conscient que leur pulsion est matée par cette même violence qu’on leur reproche le tout sans témoin et dans un silence gênant, on se doute que l’explosion n’est pas loin.
Aussi, le principal oubli de ces structures est souligné tout au long du film : l’absence complète de personnalisation des parcours et de psychologie, en omettant volontairement la fragilité des pensionnaires, fragilité renforcée par leur âge et leur relative inconscience par rapport à ce qu’ils vivent et ce qu’ils ont fait. Si la réponse par la déresponsabilisation est une erreur, la tendance à l’autre extrême ne peut qu’engendrer frustration, isolation et marginalisation.
Du coup, on suit cette galerie de personnages avec ce pressentiment que tout va imploser d’un moment à un autre. Et que dire de cette galerie de personnages, si ce n’est que le casting est impeccable tout comme l’épaisseur donnée à chaque personnage. La prestation de James C. Burns est remarquable à bien des égards (avec toute cette raideur couplée à un certain paternalisme) tout comme le jeu d’acteur de P.J. Boudasqué (injustement réduit à mon sens à sa ressemblance avec Ryan Gosling) et de Chris Petrovski. Le fait que ce casting soit constitué d’acteurs aussi peu connus renforce un peu plus l’intérêt de ce film : pour la plupart néophyte, on sent cette fraîcheur et cette spontanéité dans le jeu des pensionnaires, ce qui n’altère en rien le film ni son propos.
« Coldwater » a le mérite de poser des questions qui dérangent. On peut ainsi évoquer la nécessaire définition par la loi de ces structures et surtout des missions qui lui sont adjointes. En France, un début de réflexion autour d’établissements pour mineurs avait pris forme. Il s’était heurté à des problèmes topographiques (promiscuité avec les riverains) et surtout sur le rôle à donner à ses établissements. En somme, doit-on considérer ces établissements comme une étape avant la prison, comme une prison « light », une main tendue pour les jeunes ou un lieu permettant de faire de la prévention. D’autre part, « Coldwater » pose la question de la punition : si celle-ci a un écho différent selon les parents, c’est surtout la définition proposée par cette société qui interpelle. Accablé, humilié et réduit au silence, le pensionnaire endure sa punition sans pour autant pouvoir méditer sur la portée de ces actes. Si de telles méthodes peuvent s’appliquer pour certains, la quasi-systématisation de cette violence à outrance, quelque soit le profil et la gravité de la faute du pensionnaire interpelle, engendre son lot d’injustice et la soif de vengeance. Loin donc de calmer les ardeurs de ses pensionnaires, Coldwater a tendance, au contraire, à faire croître, aggraver leurs travers et faire (res)surgir la part la plus sombre de leurs personnalités.