Même un assez bon connaisseur de l'histoire du Chili peut ignorer l'existence de la "Colonia Dignidad", dont le nom, "Colonie Dignité", résonne de manière aussi antiphrastique que la devise "Arbeit macht frei", inscrite au fronton des camps de concentration. En effet, dirigée par Paul Schäfer, ancien nazi en fuite, et prétendument consacrée au recueil et à l'éducation d'orphelins, ce à quoi elle s'emploie effectivement en partie, elle vise en réalité à sustenter les pulsions pédophiles de son gourou et travaille en accord avec la Dina, police secrète de Pinochet, torturant, dans le sous-sol de ses entrailles, ses opposants les plus représentatifs, puis leur imposant, s'ils survivent, une "rééducation" dont l'objectif est de briser en eux toute "dignité" et, par conséquent, toute velléité d'insoumission.
Le film de Florian Gallenberger a le premier et non négligeable mérite d'arracher à l'oubli cette page de l'histoire latino-américaine et de la porter à la connaissance du plus grand nombre. Mérite d'autant plus grand que, bien qu'allemand, le réalisateur n'hésite pas à souligner la compromission de l'Allemagne dans cette résurgence de sa propre histoire et la protection accordée par l'ambassade de son pays à cette entreprise hautement condamnable.
On peut seulement lui reprocher la sauce excessivement romanesque, au point d'en devenir souvent invraisemblable, dont il a nappé l'aridité de ces informations. "Le monde est vieux, dit-on ; je le crois, cependant il le faut amuser encor comme un enfant", concluait La Fontaine à la fin de sa fable "Le pouvoir des fables". Fort de cette conscience, du moins Gallenberger parvient-il à rendre infiniment séduisante sa fiction, entée sur une base réelle cauchemardesque. Nous pénétrons ainsi dans ce lieu sur les pas du couple irrésistible formé par Daniel Brühl et Emma Watson. Signe des temps et de l'affranchissement de la figure féminine, c'est la femme, Lena, qui rejoint délibérément dans cet enfer l'homme, Daniel, afin de l'en extraire. Et l'on taira ici les conjonctions souvent authentiquement miraculeuses qui lui permettront de parvenir à ses fins. Il n'empêche : le public est suspendu, souvent haletant, et l'on entend des soupirs d'angoisse dans la salle...
Florian Gallenberger a ainsi réussi la prouesse de nous initier à une page d'Histoire tout en nous donnant le sentiment d'avoir assisté à un divertissement.