Colorful
7.2
Colorful

Long-métrage d'animation de Keiichi Hara (2010)

La difficulté de se parler, la difficulté d'écrire

˗ Alors ? T'attends quoi ?


˗ Hein ? Quoi ?


˗ Et bien, qu'est ce que tu attends ? Tu la fais cette critique ?


˗ Celle de Colorful ?


˗ Ben non, abruti ! Celle du nouveau Ben-Hur !


˗ Je l'ai faite, celle-là, je l'ai postée dans la foulée de mon retour du cinéma...


˗ C'est bien ce que je dis : qu'est ce que tu attends ? Ca fait quatre jours que tu la portes, cette critique. Pis surtout que c'est génial, Colorful ! Tu lui as même filé une reco' sur ton site, là... Euh...


˗ Sens Critique.


˗ Voilà !


˗ J'attends que ça vienne. j'suis en panne, là.


˗ On peut attendre longtemps, alors, à mon avis...


˗ J'y peux rien, ça ne sort pas. Tu vas me laisser tranquille un peu, oui ???


˗ Voyons voir...


˗ Mes notes ! Donne-moi ça !


˗ TA-TA-TA-TA-TA ! Je suis sûr qu'on peut en sortir quelque chose, de tes notes.


˗ Mais rends-les moi ! Tu me fais chier !


˗ Tiens, rien que ça : "Faire de la vie une belle peinture", ça en ferait un, de titre qui claque !


˗ J'y ai pensé, figure-toi, mais ce n'est pas ce que j'ai retenu du film et ce que je veux en dire...


˗ Ah, ça y est, j'ai compris, tu vas encore nous resservir les sentiments à fleur de peau et toutes ces conneries.


˗ C'est ce que je voulais faire, oui. J'ai pensé qu'en me mettant devant le prime d'On n'est pas couché, ça allait venir. Mais même pas. Au lieu de ça, je me suis endormi.


˗ Ah ! Le con ! J'te l'avais dit, pourtant, que cela n'allait pas être sensas'...


˗ J'avais pensé commencer par la rencontre avec Pura Pura, cette espèce d'ange gardien espiègle qui guide cet esprit qui investit le corps du jeune Makoto. Mais les facéties du duo laissent très vite la place à quelque chose de plus grave et de plus tragique.


˗ Ah ouais, je vois. Enfin non, tes pattes de mouche sont illisibles.


˗ En résumé, dans Colorful, Keiichi Hara met en scène un adolescent en souffrance physique et psychologique pour présenter un miroir à cette adolescence japonaise sur laquelle pèsent toutes les pressions sociales et familiales. Tout ce que la société nippone fait pour étrangler sa jeunesse dans une course à la performance perpétuelle. On apprend ainsi que Makoto, avant de se donner la mort, est tombé de haut quand il a découvert que sa mère trompait son père et que Hiroka, la fille dont il est secrètement amoureux, se prostitue.


˗ C'est glauque, ton film !


˗ Non, ça parle de choses graves et adultes, mais ce n'est pas complaisant. Car Hara fait ressortir la détresse qu'éprouve Makoto alors qu'il traverse une période de sa vie très cruelle et pleine d'espoirs brisés. Il le dépeint comme un introverti, fragile comme du verre et une victime de brimades dont la vie est devenue insupportable. Mais Colorful lui fait emprunter un chemin vers lequel l'esprit qui a investi son corps meurtri va se découvrir peu à peu et éclaircir son horizon.


˗ D'où tes notes sur le train et sur l'art...


˗ Voilà. Keiichi Hara en tire une véritable exaltation de la poésie du quotidien. L'art est envisagé comme un refuge et une expression de nos sentiments. Et il injecte à son récit le goût des choses simples. Comme s'arrêter, penser à autre chose et accompagner le seul ami que l'on a sur la route nostalgique du tamaden, un vieux train japonais démantelé depuis un bail. Un instant, l'esprit qui a investi le corps de Makoto comprend la portée de ces moments simples et leur prix, ainsi que la compagnie de ceux avec lesquels on les partage.


˗ Y'a un truc avec les parents, dans tes notes.


˗ C'est là dessus que je voulais insister, en fait. Car dans Colorful, ce que j'en ai retenu, c'est cette incommunicabilité des sentiments au sein de la cellule familiale. Les parents et les enfants ne savent tout simplement pas se dire qu'ils s'aiment. Ou encore parler de ce qu'ils ressentent. L'adolescent en révolte et en souffrance, ainsi, il ne sait qu'exprimer sa colère que par la volonté de faire mal ou d'humilier. Le père est absent, tandis que la mère prend sur elle avant de fondre en larmes quand elle est seule. Ce personnage est touchant dans sa culpabilité, dans sa volonté de bien faire qui devient étouffante. Il est à l'image du rôle pivot de la mère dans la société japonaise, confinée au logis et responsable de l'éducation de ses enfants. Qui craque devant son fils qui se transforme par instant en monstre d'égoïsme et de détachement. Tous ces non-dits, cette incommunicabilité nourrissent les plus belles scènes du film. Quand, par exemple, sous un pont et sous la pluie, Makoto est incapable de dire à Hiroka qu'il l'aime. Quand est partagée une partie de pêche entre un père et son fils, dans de superbes décors. Ou lors d'un repas où, enfin, la famille communique. Colorful est touchant dans son discours et vise juste plus d'une fois dans sa peinture de l'adolescence qui perd pied et qui se cherche, qui souffre et qui ne se reconnaît plus.


˗ ... Et qui réalise qu'elle s'engage, en s'ouvrant à certaines rencontres inattendues, en saisissant la valeur de l'existence, sur la voie de la guérison.


˗ C'est ça.


˗ Bah tu vois, finalement, qu'en parler t'as fait du bien !


˗ Ouais... Bon. Mais je n'ai pas avancé d'un pouce, là.


˗ Bah si ! Elle est sortie, au bout du compte, ta critique ! Regarde ! T'as plus qu'à cliquer sur "enregistrer"... Avec un peu de bol, tu verras, tu auras convaincu quelques-uns de le voir, si ça se trouve.


˗ Tu sais que quand tu t'y mets, tu deviens infernal, par moments ?


˗ Me remercie surtout pas. Si je peux aider...


Behind_the_Mask, ♪"J'ne sais pas comment te dire ce que j'ne peux pas écrire..."♫

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le 12 sept. 2016

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