Mon père étant fan des Galettes de Pont-Avens, je suis familier de longue date avec la verve rabelaisienne de Jean-Pierre Marielle. Longtemps resté dans l'ombre de son grand-frère, le non moins fascinant "... Comme la lune" est une découverte tardive que je dois au visionnage hasardeux de "la Nuit des cons" sur Canal +. Un véritable choc, vraiment.
Éclair de lune
Les galettes de Pont-Avens bénéficiait de fulgurances indéniables : un casting de rêve, des dialogues libres et crus, ainsi qu'une profonde singularité qui est le sceau des œuvres mémorables. Mais le revers mélancolique prégnant et la déchéance du personnage durant la seconde partie du film m'ont toujours fait regretter un autre traitement, plus léger pour ce pauvre Henri Serin. Même si la dernière scène lumineuse sur la plage avec la jolie Jeanne Goupil arrache tout de même un large sourire.
Et "...Comme la lune" est une forme de perfection du cinéma de Séria. Un truc impossible à prendre en défaut, presque à chaque seconde, loin de ses derniers films. Une férocité, une vitalité, un sens du dialogue constant qui tranche terriblement avec les comédies actuelles. Une humour pas rassembleur, qui ne ménage pas ses personnages. Une petit oasis de causticité que je visite régulièrement quand j'en ai assez de subir des bandes-annonces journalières qui étalent leur humanisme forcené. Il semble impossible de produire une comédie qui va au delà du prêche de tolérance. Mais je ne veux pas radoter, je m'énerve un peu trop souvent sur ce thème.
Un con sensuel
Roger Pouplard (JP Marielle), est un français moyen qui connait une renaissance sexuelle dans les bras d'une jeune bouchère nymphomane (la fantastique Sophie Daumier). Il a quitté sa femme, sa famille et son commerce pour vivre une passion échevelée avec cette Maryline Monroe de supermarché, qui "lui ferait bouffer le compteur à gaz si elle lui demandait".
Pouplard est une synthèse de beaufferie auto-satisfaite très française, mais - et c'est là le génie du duo Marielle / Séria - il n'en demeure pas moins touchant. Oui Roger est vulgaire, vaguement antisémite, sexualise à outrance sa jeune compagne, ne montre qu'une relative gêne vis à vis de son ex-femme encore amoureuse (cf la scène du repas), mais quand sa nénette lui file entre les doigts à Deauville pour aller batifoler avec un ancien camarade (Marco Perrin plus truculent que jamais) et qu'il se confronte à ses réelles limites, on ne voit plus le coquelet triomphant mais le pauvre type à côté de ses pompes, à qui on a presque envie de taper sur l'épaule et de dire "ah mon pauv vieux". Ce que l'excellent personnage de Dominique Lavanant va faire d'ailleurs.
Il y a quelques années j'avais eu la chance d'assister à la projection du film au cinéma des 3 Luxembourg à St Michel, en présence de Joël Séria. Il s'est prêté de bonne grâce à une séance de questions réponses, et a pu nous raconter la création de ce personnage, qui constitue une apogée dans la carrière de Marielle. Roger Pouplard est inspiré d'un séducteur de son ancien village, surnommé "l'Impec du bourg", toujours tiré à quatre épingles, toujours charmeur. Un dragueur ridicule et vaniteux, complètement persuadé de son charme. Un portrait de con universel, qu'on peut rencontrer dans toutes les villes et à toutes les époques. Ce type a fasciné Séria, et son frère, durablement au point d'en faire le sujet du film.
Viva Séria
Cette séance organisée par les créateurs de la revue Schnock fut intéressante à plus d'un titre. Car la salle était composée essentiellement de gens qui n'avaient jamais vu le film. Et sans me lancer dans un analyse sociologique poussée, j'ai quand même pu observer l'accueil de ce public frais composé de gens relativement jeunes, à l'évidence cinéphiles, et mixte. Et j'ai été rassuré de constater que plus de 30 ans après, à une époque aussi moraliste, les saillies de Pouplard faisaient encore rire à gorges déployées. L'honnêteté m'oblige tout de même à préciser que les 3 bourgeoises blondes d'environ 25 ans qui accompagnaient leurs copains juste devant moi sont restées prostrées du début à la fin. Faut dire qu'en 2019 tout le monde n'est pas formaté pour encaisser de telles répliques.
Les confidences de ce vieux réalisateur, pas si éloigné d'un Jean-Pierre Mocky dans le caractère, avaient une teinte assez émouvante. Ses confidences sur les charmants complexes de Sophie Daumier durant le tournage à cause d'une cicatrice à peine visible au bas ventre, la fin de vie très douloureuse et dans la misère de Marco Perrin, la maladie qui a affecté les dernières années de vie de Marielle donnaient un petit un goût amer à cette projection si drôle.
A 80 ans, Séria est comme beaucoup de réalisateurs de son âge, il a des projets, des idées, des envies viscérales, mais il n'a pas encore réalisé qu'il était déjà à la retraite. Il imagine des financements, des castings, des histoires qu'il ne filmera jamais. Et sans le génie de Jean-Pierre Marielle pour porter ses mots, on se dit que c'est certainement pour le mieux. Mais Joël, peut garder la tête haute, il a fait des grands films (Mais ne nous délivrez pas du mal, les Galettes, ... comme la lune), ce qui n'est pas donné à tout le monde.