Voilà qui pourrait aider l'amoureux d'Hitchcock à embrasser sans une pointe de honte cette trilogie pleine de tendresse mais aussi artistiquement en phase terminale. Qui caresse l'oeuvre du Maître du suspense n'a pas fait la moue devant "Topaz", "Frenzy" ou "Complot de famille" en s'offrant un visionnage discret puis un abandon du support en bout d'étagère ? Qui n'a pas invoqué la maladie de l'artiste comme rempart à de virulentes attaques ? Les périodes hivernales des grands Maîtres souvent cachées sous le tapis comme un tas de poussière apparaissent pourtant comme tendres, perfectibles, entières et révélatrices. Si la foudre continue de s'abattre sur «Topaz», beaucoup auront oublié la séquence d'ouverture du film ainsi que toute la charpente cinématographique mise en place par l'auteur de "Vertigo" et de sa minutie dans le cadrage. Beaucoup auront aussi oublié la franche saleté de "Frenzy", "segment Hitchcockien" par excellence dont le ton moins suggéré et plus frontal rappelle à quel point le réalisateur aimait parfois choquer son audience et réduire à néant une poignée de blondes par strangulation.
"Complot de famille" achève donc la carrière d'un artiste étrangement à la solde des studios, maladif du succès et en dehors d'un moule qui aurait pu l'écraser au moindre différent créatif. Un homme farouchement indépendant au coeur d'un système ou encore un négociateur roublard et mutin. Si son dernier né ressemble autant à un film d'Alfred, c'est que sa volonté et son corps (malade) n'allaient jamais dans une direction opposée. Nous sommes en 1976, Le Nouvel Hollywood a fait son apparition et son cortège de chefs d'oeuvres (Bonnie and Clyde, L'Exorciste, Le Parrain, Les dents de la mer) ont changé la donne de la Mecque du cinéma redonnant le pouvoir, pour un temps du moins, aux réalisateurs. Devant cette modernité technique "Complot de famille" a objectivement peu d'atouts et se voit régulièrement desservi par une mise en image lymphatique aux mouvements de grue hésitants sans réel tempo comme un abandon du Maître envers son amour du cadre et du hors champ. L'utilisation de la projection frontale si prégnante en 1959 pour "Vertigo" s'étale littéralement en un geste un peu grossier. "Complot" s'affiche comme un film moderne bercé par des anachronismes techniques et renvoie à une période canonique ou les artifices des studios participaient plus à une forme de poésie.
On savait Hitch' physiquement rongé durant le tournage et ce dernier élan souvent méprisé ouvre une dernière fois ses bras au spectateur. Sous l'épais savoir-faire poussif, une perle d'envie de célébrer une dernière fois le cinéma comme un spectacle, un artifice moderne, un simulacre. Le souhait de briser une coquille de noix et d'en recueillir le fruit. Un discours opposant un couple classieux à la réussite sociale et aux méthodes de brutes face à deux paumés de la working class toujours en quête d'une nouvelle arnaque. Chaque tandem caché derrière une fausse identité. Les intentions de dérober à son prochain sont les mêmes de part et d'autre et cette ironie de voir cette machine si parfaitement huilée prendre l'eau révèle l'intégrité d'Hitchcock envers son oeuvre. Le cinéma aura eu beau changer de face, lui conservera l'idée que le Septième Art est une affaire de prestidigitation photographiée 24 images / seconde. RIDEAU.