« Ne parle à personne. Ne touche personne. Tiens-toi à l'écart des autres ». A l'heure du livre digital, du disque en téléchargement, du film en streaming et de l'amitié virtuelle, Steven Soderbergh (dont le talent sursaute à intervalles réguliers) réalise, avec Contagion, le parfait pendant de The Social Network de David Fincher. Ou plutôt, disons, une version pirate de ce qu'aurait pu être le film sur Mark Zuckerberg, à savoir une oeuvre sur le contact. Quand, dans les dernières minutes, le film remonte le chemin de la contagion jusqu'à son foyer d'origine, ce sont des images de joie, de jeu et de sociabilité (restaurant, casino). La couleur est d'un rouge embué, presque sexuel, les corps se frôlent et se collent. On est à Macao. L'endroit est surpeuplé, l'ambiance déborde d'alcool et l'effet de comparaison avec les lieux publics désertés est violent. Il y a un avant et un après. Un monde ancien et un nouveau monde. Dans l'un, on se touche, dans l'autre, on se fuit. Du rouge, l'on passe à un bleu-vert-gris quasi glacial. Des couleurs de maison close et de plateau porno, on passe à un hôpital géant.
Le film de Soderbergh est construit de la même manière qu'un film de zombies. Des symptômes, une maladie inconnue, qui se transmet par voie cutanée. Un gouvernement incapable de réagir. Des lieux qui se vident, des cadavres qui s'entassent. Soderbergh n'a rien fait d'autre qu'un film de Romero sans zombies, une sorte de Crazies surléché, un peu prétentieux et autosatisfait. Si comme Romero, Soderbergh utilise le genre pour n'exprimer qu'un point de vue sur la société d'aujourd'hui, alors, la (belle) idée de Soderbergh n'est autre que: Nous basculons dans un monde sans chair, un univers de fantômes qui s'évitent. »Tu sais pourquoi on se serre la main, à l'origine? C'est pour montrer qu'on a pas d'armes » dit en substance le médecin en chef. L'idée de contact est systématiquement associée à l'idée d'agression. Et Facebook ou Twitter, dans le film, demeurent à la fois comme les derniers moyens d'affronter les autres (Jude Law en rebelle online) et les vestiges d'un certain type de relation.
Mais si l'idée est bonne, le film, lui, n'est rien d'autre qu'un peu malin. Sa structure chorale voudrait offrir tous les points de vue possibles sur ce moment de crise (le deuil, l'antidote, la fuite, l'impuissance) et une analyse de tous les mécanismes immunitaires du corps sociétal face à une crise, qu'elle soit personnelle (perte de l'être cher) ou globale (virus). Mais Contagion donne l'effet d'une brochure, d'un catalogue de toutes les situations possibles en temps de pandémie, boursouflant le film de redondances, de longueurs et d'un inévitable ennui. Les rôles de Marion Cotillard ou de Kate Winslet paraissent superflus, comme si on ne les avait inséré que par conscience de l'affiche. On notera aussi au passage l'opportunisme d'un tel choix formel à l'heure du triomphe des séries télé. Finalement, le film se prend d'une nostalgie prétextée (ah ce bon vieux temps où l'on pouvait se tripoter de partout dans les lieux publics et conviviaux) pour servir un propos on ne peu plus réactionnaire dirigé contre les réseaux sociaux, dont la contagion ne serait qu'une immense et macabre parabole, et notre horizon le plus proche si l'on continue à se poker les uns les autres. Pour voir la version réussie de ce film, il faudra louer le plus fascinant Phénomènes de M. Night Shyamalan ou revoir un Romero (au hasard, le génial Martin ou le mal-aimé Survival of thé Dead).