Le cinéma de Hong Sang-soo est décidément bien intriguant, à la fois grand et modeste, banal et très fouillé. Avec Conte de cinéma qu'il réalise en 2005, il se retrouve déjà pour la troisième au festival de Cannes et même si ce coup-ci il est reparti bredouille, le film n'en a pas moins plu à la critique française.

De Hong Sangsoo je n'ai vu pour l'instant que La vierge mise à nu par ses prétendants et La femme est l'avenir de l'homme... Peut-être pas suffisant pour cerner totalement le réalisateur certes mais déjà assez pour commencer à lui attribuer certains traits et habitus. Ainsi et en me basant donc sur les deux films vus, j'en avais tiré la conclusion que le cinéma de Sangsoo était quasi intégralement composé de plans fixes, ici il y apporte une variante pour le moins déconcertante : Le zoom. Pas de travelling, non, seulement le zoom. Et pour comprendre son utilité il faut aller chercher plus loin dans le film et s'attelait tout d'abord à la construction tant du scénario en lui même que du montage. Conte de cinéma est un film qui se sépare en deux parties, parties indépendantes l'une de l'autre mais pourtant fortement liées. Et c'est par une mise en abîme réellement vertigineuse que le réalisateur coréen entame son film, sans même en faire part au spectateur, sans nous faire comprendre qu'il s'agit en effet d'une fiction.

Ainsi pendant près de quarante minute l'on nous montre un film dans le film et ce n'est qu'à la fin de cela que nous nous retrouvons dans la réalité avec notre personnage principal qui ressort de la salle de cinéma, ayant assisté à la même séance que nous autres spectateurs. A partir de cela les deux parties ne cessent de se faire écho, au point où l'on ne sait plus laquelle à inspirer l'autre et l'on ne cherche même plus à en être certain car l'intérêt n'est plus là, et Hong Sangsoo l'a bien comprit, et rapidement plutôt que fixer son entière concentration à repérer les éléments de correspondance, l'on se laisse doucement aller aux sensations ressenties dont l'épaisseur n'est qu'amplifié par l'agencement et l'utilisation judicieuse de la mise en abîme. Revenons en maintenant donc à l'utilisation du zoom dont il se sert pour isoler sans cesse un personnage, un objet du décors. Donc pourquoi un zoom et pas un travelling ou tout autre procédé bien plus courant ? Je me laisse à penser que c'est par simple envie de faire sentir la caméra, dans le prolongement donc du principe du film dans le film mais à un étage supérieur donc. Enfin l'utilité du zoom en tant que tel ne réside pas en ce simple aspect, il s'en sert avant tout pour accentuer la difficulté d'être avec le monde et dans le monde et de ce point de vue là, l'exercice est drôlement bien réussi. Oui drôle, parce que ce Conte de cinéma est un drôle de film et le cinéma de Hong Sangsoo a vraiment quelque chose de très fort. Et pourtant tout parait si banal tant dans le sujet traité que dans la mise en scène en elle même, tout est filmé de façon neutre, sans saveur particulière, reflétant tout la modestie d'un réalisateur qui a pourtant des choses intéressantes à montrer.

Ainsi j'aime bien parler des films de Hong Sangsoo comme de grands films qui ne se vendent pas comme tel. Quoi qu'il en soit il refuse de magnifier le monde mais tente toujours de voir au delà de ce qu'y est et de part cela et l'écriture -Qui joue un grand rôle-, il arrive à rendre intéressantes des situations en apparence assez quelconques. Conte de cinéma reprend l'un des grand principes de la dramaturgie : chaque chose doit provoqué ou inciter un double que ce soit directement ou indirectement. Ainsi au delà ce principe, le réalisateur coréen travaille sur le pouvoir de changer malgré ce que l'on a vu ou vécu, à la recherche donc d'une ouverture qui permettra à son personnage masculin de se tirer de sa torpeur. Car ici encore le portrait du personnage masculin est habité par une volonté passive. Ce qui rend la possibilité de s'en sortir encore moindre, surtout avec le modèle de société déliquescente qui nous est montrée -L'alcool est encore une fois très présent-, là où les rapports sociaux sont pervertis (Scène des ragots sur l'actrice) et où les rapports Homme/Femme finissent par en être déshumanisés. Et le point d'orgue se trouve en fin de long-métrage, là où le constat plutôt ironique de cette aventure est bouclé. Le jeu sur le sentiment et les sensations n'est plus suffisant, l'on évoque alors - sans en parler - une vision plus globale du monde et là, ô grand miracle Hong Sangsoo se démunit de son zoom pourtant permanent, logique !

L'on pourrait dire de Conte de cinéma qu'il continue d'explorer les obsessions de l'artiste coréen, tout en explorant quelque chose de totalement inédit. Et c'est avec une liberté de ton prodigieuse qu'il établit l'étude douloureuse du mal-être humain et des rapports hommes/femmes. Poésie urbaine... Conscience des autres... Inconscience de soi... Conte de cinéma est décidément un film qui ne manque pas d'intérêt
Dodeo
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le 29 avr. 2012

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Dodeo

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