*Coup de Torchon* est un vrai *coup* de poing cinématographique. Ce genre de film qui définit la grandeur du septième art. *Coup de Torchon* c’est l’histoire d’un homme intrinsèquement gentil dont tout le monde se moque, qui décide de prendre sa vie en main en perdant les pédales.
Et quelle satisfaction de trouver une équipe technique aussi formidable, un casting aussi talentueux dans un film au scénario particulièrement bien adapté.
Soyons honnête, entre nous, on ne ressort pas indemne de ces deux heures plongées au sein d’un climat tendu, qu’il s’agisse du contexte historique ou de la psychologie de notre personnage principal, Lucien. Alors sans plus tarder, voici une première, une critique parfaitement positive bourrée d’analyses à deux balles d’un film qui mérite bien plus que mes pauvres mots.
1981 : Veille de seconde guerre mondiale.
Si les étasuniens adorent les films sur la guerre, sur ses conséquences, dans les années 80, en France, ce n’est pas vraiment notre tasse de thé, on sort doucement de la Nouvelle Vague vers des films plus américanisés du point de vue scénaristique. La guerre c’est tabou, on avance encore à pas de velours avec cette guerre froide qui n’est pas loin.
Alors comment Coup de Torchon surgit aussi divinement dans ce contexte historique ? Un film qui se passe au Sénégal, pays colonisé par la France, à la veille de la Seconde Guerre Mondiale, mais qu’est-ce-que ça vient faire sur les écrans de cinéma en 1981 ? Bonne question, mes connaissances socio-historiques me limitent bien sur le sujet. Si par ailleurs certains peuvent me répondre, ma messagerie est ouverte.
Si le film est une adaptation des 1275 âmes de Jim Thompson, les références auxquelles on a tendance à se raccrocher seraient plus L’étranger de Camus, Voyage au bout de la Nuit de Céline (dédicace à notre petit caillou international) et Voyage au Congo de Gide. L’idée que le film soit un parfait mélange de ces trois œuvres littéraires m’attire beaucoup. L’étranger pour son ambiance très particulière, pesante ; Voyage au bout de la Nuit pour la détresse du français réhabilité après la guerre dans les terres colonisées, ne se sentant jamais réellement à la bonne place ; et bien-sûr Voyage au Congo pour ce regard que portent Tavernier et Gide sur le traitement des autochtones par les colonialistes, l’irrespect des traditions, de l’âme d’un Homme noir. La seule différence étant que Tavernier apporte un regard cynique sur ce racisme dont les français font joyeusement preuve en 1939.
Mais vous ne me prévenez pas que je n’ai pas encore réellement parlé du sujet du film ? Vous êtes bien trop polis.
Lucien, une espèce de shérif français victimisé par sa propre « communauté », intrinsèquement gentil cherche une solution afin d’être respecté par ces personnes sans manquer son coup et risquer d’en pâtir d’autant plus. Solution : les tuer discrètement. Quoi de plus efficace ?
Ce qui m’intéresse maintenant c’est dans quel contexte Lucien se fait victimiser. Ce brave homme ne cherche pas les problèmes, il les évite soigneusement comme si sa vie en dépendait. Et si c’était le cas, justement ? L’entre-deux guerres est, rappelons-le, une période de tension très forte. Et même ceux qui ont cherché à s’éloigner de l’Europe et fuir le plus efficacement ce climat ont fini par se retrouver perdus, vivant dans des conditions déplorables et plus perdus que jamais. Lucien il n’est pas simplement perdu, rien ne va dans sa vie.
Accélération de la bobine s’il-vous-plaît.
Alors oui, ce n’est pas commode, mais cette « critique » n’est pas aussi commode que d’habitude.
Quand Rose tue par légitime défense Nono et Huguette à la fin et que Lucien annonce la guerre pour faire fuir la patrouille qui s’apprêtait à découvrir les meurtres, je n’y croyais pas. Je me suis dit que Lucien avait inventé le plus gros mensonge du monde pour sauver la peau d’une jeune fille paumée. Et finalement, c’est à ce moment que j’ai réalisé le sens des paroles « Fights problems with bigger problems » que chantait Elliott Smith dans Baby Britain : il est tellement plus simple de dissimuler une bêtise par un soucis que l’on aurait pas causé et qui empêcherait les « grands » de voir notre bêtise. Ne serait-ce pas comme ça que le monde a toujours fonctionné ?
Finalement, pas de besoin de contextualiser, ç’aurait pu se passer n’importe quand.
J’dis pas qu’t’as tort mais j’dis pas qu’t’as raison non-plus
Alors oui, peut-être Lucien est fêlé de base mais ne le sommes nous pas tous ? C’est ce que je crois.
Il est possible que la folie de Lucien soit née avec lui lorsque sa mère lui a donné sa propre vie. Il y a de quoi être psychologiquement perturbé dès le plus jeune âge lorsque l’on comprend que sa propre mère est morte pour vous donner la vie. Les priorités ne sont plus les mêmes, l’abord de la vie est peut-être différent. Mais on ne le voit pas chez Lucien au début.
Pourtant, dès le début, dès la première séquence on comprend que le jour et la nuit auront un impact particulier sur Lucien. Ce n’est pas anodin si son premier meurtre est commis au beau milieu de la nuit. Ce n’est pas une facilité scénaristique, c’est la déclaration de guerre entre la folie de Lucien et son intégrité. Et la folie l’emporte toujours, c’est bien connu. Tellement qu’on ne comprend plus bien quand Lucien dort, quand il est éveillé. Tout ce qu’on sait c’est que lorsqu’il dort et qu’il mange il ne pense plus à rien et qu’il mange plus, qu’il a plus sommeil après les quatre meurtres. Si la vie pouvait être faite de luxure, Lucien ne se sentirait pas coupable de quelconque crime.
Tout le film durant, Lucien est au centre du cadre, parfois accompagné, parfois pas. Lorsqu’il se retrouve seul, ses accès de folie s’actionnent, il tue pour que la vie soit plus simple. Et pour lui et pour les autres. Est-ce si difficile pour lui de se retrouver avec lui-même ? Prendre le temps de réfléchir à sa condition est-ce ce qui l’a poussé au crime ?
Les seuls instants durant lesquels il n’est pas au centre du cadre sont avec l’institutrice qui le perturbe, pour laquelle il voue un amour bien plus pur que ce qu’il vit avec sa femme infidèlement incestueuse et Rose qui n’est qu’un objet sexuel qui lui donne l’amour bizarre dont il a besoin pour vivre.
Lorsque Lucien prend enfin des décisions concernant sa vie, le film est soudainement accompagné par un jazz lancinant qui semble l’accompagner dans son esprit, un ensemble de notes orchestrées de manière bien peu commune à la musique classique mais qui s’accordent bien avec la vie de Lucien. Tout à fait admirable.
Et si ce brillantissime film devait être résumé en une séquence, mon choix se porterait évidemment sur la dernière qui me restera en tête pour le restant de mes jours comme l’une des plus incroyables de l’histoire du cinéma (non séquence du saut depuis le toit de Cria Cuervos, je ne t’oublie pas).
Avec cette actuelle remise en question de la peine de mort, ce film est d’une actualité exceptionnelle.
Et puisque cette critique est partie dans tous les sens, il est temps de s’arrêter.