- Eh bien, qu’est-ce qui vous fait penser que vous aimeriez faire le transport de troupeau ?
- Eh bien, ah, toute ma vie j’ai rêvé de me lancer dans le commerce du bétail. Sortir sur la piste et... et je déteste Chicago. J’aimerais vivre au grand jour. Vous voyez ce que je veux dire ?
- Oh, oui, je sais ce que vous voulez dire. Vous voulez dire allongé là-bas sous les étoiles en écoutant les cowboys chanter autour du feu de camp. Et ton fidèle vieux cheval qui broute l’herbe à tes côtés. Tu fais beaucoup d’équitation?
- Moi ? Eh bien, je parie que je pourrais monter toute la journée et toute la nuit.
- Oh, c’est un fait ? Vous savez, je parie que vous aimez les chevaux.
- Oui, monsieur, j’en suis certain.
- Oui, je le pensais. Eh bien, vous êtes un idiot. Vous êtes un idiot rêveur, et c’est la pire sorte. Vous savez ce que représente vraiment la piste ? Des tempêtes de poussière toute la journée, des nuages toute la nuit. Il faut être fou pour vouloir ce genre de vie.
Que serait l'Ouest américain sans les cow-boys qui durant l'expansion vers l'ouest des États-Unis ont joué un rôle si important qu'ils sont devenus un véritable symbole. Une image forte du traditionalisme américain glorifiée à travers les décennies par différents supports qui l'ont idéalisée par de nombreux mythes et clichés au point de perdre l'essentialisme et l'authenticité de cette noble profession. Une figure enchevêtrée que le cinéaste Delmer Daves va en 1958 retourner pour en extraire la vérité sur ce qu'était la vie rude et épuisante des cow-boys qui gardaient, rassemblaient et transportaient le bétail sur des longs trajets à travers le pays pour être vendu. Des journées de travail excessif sur plus de 15 heures où les cow-boys se réveillaient tôt le matin et guidaient le troupeau jusqu'au prochain point d'arrêt avant la nuit. Revenir à l'essentiel, c'est ce que propose le réalisateur Delmer Daves avec Cow-boy. Pour cette occasion le cinéaste retrouve un de ces comédiens fétiches : '' Glenn Ford '', avec qui il avait déjà tourné deux œuvres majeures du western américain avec L'homme de nulle part (qui exposait déjà le métier de vacher), ainsi que 3H10 pour Yuma.
Pour illustrer son propos novateur, Delmer Daves présente un récit intelligent qui va symboliser la vision novice et fantasmée du spectateur à travers le personnage de '' Frank Harris '' (Jack Lemmon), réceptionniste dans un grand hôtel de Chicago, complètement émerveillé par la profession aventurière d'errance des cowboys qui chaque année viennent prendre quelques semaines de repos dans l'établissement hôtelier où il travaille. C'est là qu'il fait la connaissance de '' Tom Reece '' (Glenn Ford), un éleveur chevronné et rustre qui après quelques déboires va accepter à contrecoeur de s'associer avec Frank. Un gars de la ville avec des étoiles plein les yeux qui s'essaye au métier de vacher à travers une formation exigeante tenue par Glenn Ford qui va vite le faire descendre de son nuage fantasmagorique en gérant le transport d'un troupeau de 400 bêtes qui va lui inculquer le réel.
C'est ainsi que le spectateur apprend les réalités d'un métier qui demande d'avoir des connaissances dans le travail avec le bétail. Savoir monter à cheval en sifflotant au gré du vent ne suffit pas, il faut accepter de travailler sous de fortes intempéries, supporter de longues heures en selle, avaler la poussière provenant du troupeau, dormir à la belle étoile avec les animaux sauvages gravitant autour, tolérer la dureté des collègues cowboys longuement éloignés de leurs familles, endosser de nombreux autres travaux physiques qui demandent d'être autonome, et enfin d'encaisser la solitude des grands espaces. Le transport du bétail n'est pas une chose aisée et le cinéaste parvient habilement à le retranscrire par le biais d'un récit savamment posé qui va s'illustrer par de nombreuses séquences marquantes comme lors de la fête au Nouveau-Mexique avec l'épreuve de la corne de taureau, l'attaque des indiens, le transport du bétail par le chemin de fer... De nombreuses épreuves qui vont rapprocher deux hommes diamétralement opposés.
Le comédien Jack Lemmon pour son premier western en tant que Frank Harris offre une belle performance. Il incarne avec crédibilité une vision immature et idéalisée du cowboy qu'il nous renvoie pleinement à la figure à mesure qu'il fait face à la réalité à travers son voyage initiatique. Glenn Ford en tant que Tom Reece est incroyable ! Le comédien livre une prouesse venant contraster avec cette vision du brave homme sympathique au sourire rassurant et compréhensif auquel il nous avait habitués. Sous les traits de Reeve, Ford présente un profil plus ambigu qui exprime la rigueur d'un cadre de vie difficile et angoissant qui demande un révisionnisme des valeurs humaines au profit d'une vie de groupe plus coriace. Les dialogues entre Jack Lemmon et Glenn Ford sont particulièrement savoureux avec une confrontation d'idée constante (avec un début de pensée intéressant sur la fin des pâturages ouverts à cause des fils de barbelés des clôtures) qui à mesure que l'histoire avance transformera les deux hommes. Le reste de la distribution fait plaisir avec de vrais gueules du western telles que Brian Donlevy, Richard Jaeckel, Dick York, King Donovan, ou encore Anna Kashfi. Delmer Daves marque son oeuvre comme les éleveurs marquent le bétail par une réalisation qui ne manque pas d'imagination par le biais d'une image épurée qui réussit habilement à mettre en scène le déplacement d'un troupeau à travers les grands espaces de Santa fe au Nouveau-Mexique, le tout servi par une composition musicale signée George Duning, qui à défaut d'être mémorable reste plaisante.
CONCLUSION : ##
Avec Cow-boy, l'excellent réalisateur Delmer Daves présente un western atypique qui nous livre un récit classique venant démystifier un symbole à travers une conduite honnête de la profession de vacher. Une proposition qui en surprendra plus d'un de par son postulat de départ de faire de l'anti-spectacle au profit d'une vision plus concrète du réel. Une histoire savamment entretenue par la vision opposée de deux hommes superbement incarnés par Jack Lemmon et Glenn Ford qui dans l’Ouest sauvage et ses grands espaces trouveront un point commun au milieu du bétail.
Une troisième collaboration entre Daves et Ford qui fait mouche !
Quelqu’un connaît les bons mots ? Devant pareille chose, on se demande comment c’est arrivé. Par sa faute ou par celle d’un autre ? La seule certitude que nous ayons c’est qu’il y a un mort. La cause n’a aucun intérêt. Si ce n’avait pas été un serpent, ça aurait pu être un taureau ou un Comanche ou bien son cheval aurait pu trébucher dans un trou de chien de prairie par une nuit sombre. C’était un homme bon avec le bétail et il faisait toujours de son mieux. J’espère qu'au moment de ma mort quelqu’un pourra dire de moi la même chose.