Malgré la récurrence de ses thèmes, chaque film de Y.Ozu est différent et Crépuscule à Tokyo (Tōkyō no yūgure) plus sombre, s'exempte de toute fantaisie et, malheureusement, de toute la verve notoire du cinéaste et du plaisir pour nous, de vérifier dans la légèreté et l'ironie les travers d'une société ou d'un microcosme, pour pouvoir profiter pleinement de ses déclinaisons sans en minorer la portée.
L'absence de communication ne se situe plus dans les dialogues de sourds à effets rebonds et souvent jubilatoires, mais dans leur absence. La force du lien familial et le rapport à la perte, qu'Ozu décline tout au long de sa filmographie manquent alors de puissance, on peut le regretter.
Ozu traite de la dissolution familiale, du respect des conventions, de la lâcheté des hommes, et avance ici, la responsabilité parentale et place en filigrane une mère démissionnaire (Isuzu Yamada), comme représentation fugace des dommages irréversibles sur les destinées de ses filles. Le cinéaste laisse de côté toutes les scories alentour d'un Japon en mutation -ou pas-, seul reste une sorte de huis clos pesant de trois vies en parallèle qui pourrait également expliquer le drame à venir et nous enferme dans un cadre de non-dits et de frustration.
La cadette Akiko (Ineko Arima) marque le traumatisme de l'enfance, tandis que Takako (Setsuko Hara) rend compte du poids d'une vie acceptée mais non désirée, qui n'a de choix que de retourner chez son mari ou de vivre avec son père, alors que tous les espoirs d'émancipation d'Akiko sont balayés par le respect des conventions. Les deux sœurs étant dans la même dynamique de soumission, l'une à son mari pour le bien de son enfant, l'autre à l'impossibilité d'être mère, sans mari.
Et toujours sans arriver à déterminer la vision d'Ozu sur son monde, on peut rester perplexe de quelques partis pris sur ce métrage où l'émotion semble absente. On le sait, chez Ozu, il faut accepter sa condition et l'émancipation a un coût (on se souvient du dernier plan marquant de Fin d'Automne). Ce sera le père Shûkichi (Chishû Ryû) qui par son aveuglement à la détresse, validera la décision pour Takako de rentrer chez elle. Quelques mots qui feront penser au monologue de Printemps Tardif lorsqu'un père tente de marier sa fille : N'attends pas le bonheur. Construis-le toi-même. Le bonheur vient avec l'effort....Avec toute la responsabilité donnée à l'épouse. Shûkichi, lui, reprendra ses habitudes, ses filles remplacées par une voisine qui continuera à ramasser ses affaires et cuire son riz.
Le jeu des acteurs, la sobriété d'Ineko Arima et la forte présence de Setsuko Hara (avec toute sa subtilité du seul regard pour exprimer les sentiments) apportent sa plus-value au film, avec une mise en scène, parfaite, sachant saisir les regards, les mouvements et l'espace dans lequel évoluent les personnages, les pièces de vie comme lieu de ressource tout autant que de solitude.