Crépuscule à Tokyo, 4e film d'Ozu avec Setsuko Hara, est probablement le film le plus noir du réalisateur - du moins dans sa dernière partie de carrière. L'histoire se concentre sur trois personnages (un père et ses deux filles) qui accumulent les destins tragiques pour le Japon des années 1950 : le père a été quitté par sa femme et a élevé seul ses filles, l'ainée est mariée à un homme qu'elle n'aime pas et qui devient alcoolique, la cadette est enceinte hors mariage. Mais cette addition de drames pèse sur tout. Sur l'intrigue, déjà, puisqu'on perçoit tardivement quel va être l'angle principal du scénario (la descente aux enfers de la cadette). Sur la fragile subtilité propre aux films d'Ozu, ensuite. Le délicat équilibre entre joies et peines de la vie, qu'il sait d'habitude si bien esquisser, est ici balayé par toute cette noirceur. Sur l'émotion dégagée par les personnages et leur histoire, enfin. J'ai ressenti bien plus de peine devant d'autres scènes du réalisateur, pourtant bien moins tragiques, car elles étaient justement mieux amenées et plus nuancées. Si je suis si sévère, c'est qu'Ozu m'avait habitué à un autre style de narration. Le film n'est pourtant pas raté. Un film raté avec Setsuko Hara, ça n'existe pas, même si elle est moins flamboyante que dans ses trois premières apparitions chez Ozu. La construction narrative, les scènes de transition calme, les plans fixes d'acteurs ou de paysages, la petite musique lancinante à l'américaine : la patte du réalisateur est bien là, et elle embellit le film.