De tous les films de l'après-guerre d'Ozu, "Crépuscule à Tokyo est probablement le plus sombre et le plus triste. A vrai dire, c'est un mélodrame des familles qui serait imbuvable sous d'autres latitudes. Est-ce l'effet de la réalisation dépouillée du cinéaste ou simplement le mode japonais, toujours surprenant dans ses rituels et particularismes (et en particulier cette absence d'effusions, de contacts physiques, malgré la sentimentalité du sujet)? On accepte en effet plus volontiers ici les proportions dramatiques communes du sujet.
On retrouve dans "Crépuscule à Tokyo" les thèmes d'Ozu amplifiés, tels le saké (beaucoup de scènes se passent dans des cafés ou tripots) ou les machines à sous comme échappatoire au marasme; tel, surtout, le sort fait aux filles. Elles sont deux soeurs, Takako et Akiko, à vivre sous le toit de leur père; l'une mal mariée (ces fameux mariages arrangés) à un époux alcoolique,
l'autre -c'est le fil directeur mélo de ce long film qui prend son temps- accablée par les "oeuvres" de son amant et qui doit prendre une décision...Ajoutons que l'une et l'autre ont été jadis abandonnées par leur mère, laquelle est de retour
...et tout est en place pour qu'Ozu, en moralisateur, pointe du doigt les dysfonctionnements ou l'éclatement familiaux, causes de tant de malheurs. Et toujours, à la fin, cette peur de la solitude qui hante les parents restés seuls.
Le cinéma d'Ozu, traitant des phénomènes de société et des tourments de ses concitoyens, ne s'est jamais refusé des traits d'humour ou des personnages gais au-delà de la gravité ou du sérieux. En revanche, dans ce film-ci, comme épousant l'errance dramatique et éplorée d'Akiko, la jeune fille "perdue", Ozu n'a pas le coeur de se réjouir ou d'espérer quoique que se soit.