Ana et ses soeurs
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le 12 juin 2013
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En 1976, lors de la production et la sortie de ce film, l'Espagne est encore sous le régime franquiste qui connaîtra ses dernières heures. Pour le cinéma de Carlos Saura, de ses débuts avec Les Voyous jusqu'à Cria Cuervos, le régime aura été très dur. Quarante ans plus tard, je le suis aussi.
Ce sera la seule boutade sexuelle de la critique.
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Si Cria Cuervos se veut comme une vision critique de la société de l’époque et de ses valeurs, avec ces «mères» enfermées dans leur rôle de «femmes» dépendantes des hommes, il s'agit surtout d'une œuvre riche en symboles : sur l'enfance. Celle d'Ana. Mon amoureuse.
Hoy en mi ventana brilla el sol
Y el corazon
Se pone triste
Contemplando la ciudad
Porque te vas
…
Porque te vas…
Cria Curvos raconte l'histoire d'une enfant déboussolée qui n'a de repère que le souvenir de sa mère défunte, dont le deuil ne fait que créer une frontière de plus en plus factice entre réalité et imaginaire. Ce qui fait que le spectateur se perd par l’absence de transition entre ces deux univers. Se perdre certes mais que pour mieux se retrouver dans les yeux d'Anna, pour un regard aussi innocent que corrompu et envoûtant.
On voit donc le monde des yeux d'une petit fille obsédée par la mort, qui s'imagine se jeter d'un toit ou de tuer chaque proche qui la contrarie. Une vision très éloignée de la représentation idyllique de cette période de la vie, mais cependant réaliste. Car qui ne se souvient pas avoir souhaité du mal, voire la mort, à quelqu'un qu'on aime à l'âge de 8 ans ?
Ana est mystérieuse, aussi mignonne que belle, aussi naïve que sensée, aussi fille que femme. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que Ana adulte soit incarnée tout comme la mère d’Ana, par l’actrice Geraldine Chaplin. À travers ce choix complexe et troublant, le passé interroge le futur et réciproquement. Le réalisateur pose ainsi la question de la construction de l’identité, et des répercussions de ces événements traumatiques sur l’adulte que deviendra Ana.
Malgré les longueurs, le film de Carlos Saura reste encore aujourd'hui un exemple de mise en scène, où chaque plan a une portée soit esthétique soit symbolique, où chaque geste de chaque acteur est presque à intellectualiser. Pour le bonheur de certains, ou pour l'ennui d'autres.
Si il y a bien une scène qui est culte, c'est bien celle où Ana met un disque : Porque te vas.
Tandis que sa grande sœur découpe des stars, ses modèles, dans ses magazines, Ana, elle, s'en moque et met sa chanson au texte fort. L'écoute, puis danse comme l'enfant qu'elle est, en se laissant guider par sa grande sœur, avant de changer de partenaire avec sa petite sœur. Et là, il est intéressant de voir que la danse prend une autre tournure, elle change la position des mains de la petite : c'est elle qui prend les commandes. Elle apprend. Elle apprend mais n'esquisse cependant aucun sourire : comme si c'était un devoir. Quand pourtant, moi, je prends beaucoup de plaisir à faire mon devoir. Surtout s'il est conjugal.
J'ai menti.
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Ensuite, la grand-mère demande un coup de main. Si c'est la grande qu'est à la base poussée à l'aider, car serait la plus sage, c'est bien Ana qui va la voir.
Il y a une autre scène qui mérite qu'on s'y attarde. Celle où Ana manque de sommeil et demande au fantôme de sa mère la musique qu'elle aime. Elle veut qu'elle soit jouée pour elle, et avoir les câlins et bisous dont elle a tant besoin. L'émotion ainsi que la beauté de chaque geste et parole n'a d'égale que la maîtrise du sujet, avec ce qui vient après. Car ensuite, c'est la mère qui dit au mari qu'elle n'a pas sommeil, et qu'elle veut rester avec lui. Juste pour discuter. C'est la même chose que pour la petite fille : elle demande de l'amour, que monsieur se fiche d'offrir. Ana qui reste au milieu de ce triste spectacle s'efface, n'est pas vu. C'est un rêve, une imagination où mère et fille se confondent.
Beaucoup de choses peuvent être dites sur Cria Cuervos, car en plus d'être un film sur la mort, la filiation ou l'influence, c'est également un film sur l'amour maternelle ou encore l'éducation, comme en témoignent les personnages de la bonne Rosa et de la tante. Si l'une est stricte, ne dis rien et ne donne pas suffisamment d'amour. L'autre, dit trop de choses (déception du père d'avoir eu des filles) et donne sans doute trop d'amour. Mais en même temps, comment ne pas donner trop d'amour à cet enfant ?
That's what the priest said.
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Une chose est sûre, et le réalisateur l'avoue, c'est que ce film ne serait pas ce qu'il est sans l'incroyable Ana Torrent. Elle apporte un charme indispensable à ce film brillant et estompe les longueurs par son charme. PS : je ne suis pas pédophile, juste un grand amoureux qui ne peut parfois s'empêcher d'attendre.
Créée
le 5 déc. 2023
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