Loin d’être son film le plus connu, Crise occupe pourtant une place notable dans la filmographie prolifique d’Ingmar Bergman. Et pour cause, c’est son premier long-métrage. Bien longtemps avant de rencontrer le succès critique qu’on lui connaît (dont beaucoup situent le point de départ à l’année 1953, avec La Nuit des forains et Monika), Crise est un nom parmi tant d’autres Bergman précoces, considéré presque universellement comme anecdotique, alors qu’on est face à une œuvre pourtant bien loin d’être dénuée d’intérêt.
On retrouve cet amour de Bergman pour la chronique de chambre, la quasi-totalité du film se déroulant dans un nombre très réduit d’intérieurs. Une forme qui trouve sa source dans l’origine théâtrale du film, adaptation d’une pièce de Leck Fischer – c’est d’ailleurs ce cloisonnement familial qui donne au film sa thématique principale : celle de sa fuite. Bergman évoque le besoin humain du changement et de la perte de l’innocence, l’idée d’un face à face avec la réalité au centre de ces réflexions.
Bergman démontre déjà son talent inégalé pour ce qui est de filmer des personnages en interaction. La richesse des dialogues, qui en disent beaucoup sans trop en montrer – un procédé d’importance sur scène – mais aussi l’alchimie incroyable des acteurs qui donnent à ces personnages, pourtant parfois d’apparence antipathique, une profondeur et une subtilité fascinante. Bergman épouse l’ambiguïté de ces corps, harcelés entre leurs désirs et la dure vérité de leur situation : il y a une intelligence du mouvement, la caméra ne suivant non pas le trajet de ses interprètes mais celui des effets de leurs paroles.
On repère facilement les prémisses du style de ce qui deviendra l’un des réalisateurs les plus importants et influents du septième art. La justesse des rapports humains, la sincérité de leur illustration, et surtout la sagesse dans leur utilisation parcimonieuse. Et même si la deuxième partie du film parfois un peu longue affaiblit considérablement le rythme de Crise, il s’agit bien d’un drame familial dans la pure tradition bergmanienne.
Il ne faut pas y chercher un chef d’œuvre, mais le premier film de Bergman n’en demeure pas moins une leçon de mise en scène et une intelligente analyse des liens familiaux. Il y a, comme souvent chez le metteur en scène suédois, un brin de comédie et un brin de tragédie, mais le dosage est parfait et la recette fonctionne. Efficace à défaut d’être marquant.