Cure
Cure est une œuvre opaque, au pessimisme ténébreux, foudroyante de beauté et de singularité, un triller faisant flirter une réalité sociale mutique avec un genre fantastique épuré et oppressant. Il...
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le 28 mai 2014
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Loin des sentiers battus du film policier américain, les contrées japonaises ont toujours révélé une part différente aux films de genre dans des contes moraux. Kiyoshi Kurosawa en est un des grands représentants, que cela soit dans le mélodrame, le film d’horreur ou le thriller, il excelle dans sa représentation des questions philosophiques de notre quête humaine. C’est en 1997 qu’il est révélé au monde entier par ce qu’on pourrait nommer un polar métaphysique, Cure.
Son intrigue passionnante laisse entrevoir un thriller au concept intelligent qui repose sur une énigme insoluble : Comment différents meurtres aux quatre coins du Japon, perpétrés par différentes personnes n’ayant aucun souvenir de l’événement, finissent par le même mode opératoire d’une croix inscrite dans la peau des victimes ?
Dans cette œuvre labyrinthique aux multiples pistes analytiques, il est nécessaire de revenir à son ouverture pour en déduire les thématiques qu’il traite par la suite. Dans un décor d’hôpital, une jeune femme qui se révèle être la femme du détective, lit Barbe bleue. Cette scène est suivie du premier meurtre, frontalement montré à l’écran en plan fixe, rappelant le choc que peut produire le cinéma de Michael Haneke. Nous pouvons déduire qu’il est question d’un conte moral, pas dans son sens moraliste, n’explicitant ce qui fait le bien ou le mal mais en mettant en scène cette zone grise et métaphysique de la psyché humaine.
Le texte qu’elle lit indique la notion de couple et des relations humaines violentes et abusives, décliné dans le métrage sous la forme du couple entre le détective et sa femme puis avec Mamiya. C’est le tragique du conte qui est doublé dans l’existence de ce personnage, Takabe Kenichi, superbement interprété par Yakusho Kōji (figure récurrente du cinéma de Kurosawa). Protagoniste désabusé comme l’était Morgan Freeman dans Seven, qui s’en éloigne par son refus de montrer ses émotions jusqu’au moment où il affronte ce personnage mystérieux qu’est Kunio Mamiya (Hagiwara Masato).
D’un être inexistant à un contrechamp où il semble seul, perdu au milieu de l’immensité du sable et des vagues recouvrant le son de la piste sonore, Mamiya semble être une apparition d’un autre monde. Amnésique et en proie à un mal invisible, un homme assis non loin essaye de le raisonner. Le plan-séquence expose une distance, laissant un goût d’étrangeté qui se diffuse au fil du film où le travelling continuant lors de leurs déplacement au sein des dunes laisse une conversation empreint de béances. Ce dispositif formel du plan-séquence et du travelling autour de conversations est repris dans l’ensemble du métrage sous différentes formes comme un modèle de mise en scène liant la parole à une certaine objectivité de la caméra. Par ce biais, le spectateur choisit le lieu de son regard, une forme employée par Kurosawa dans Kairo (2001) qui a pour but d’exacerber ce sentiment d’étrangeté et d’angoisse propre au film d’horreur.
Car en effet, Cure part d’un postulat certes intéressant mais pas si original compte tenu du genre dans lequel il évolue (le thriller). Mais c’est à travers de sa lente progression vers un mal immanent et l’idée d’une force métaphysique propre au fantastique et au cinéma d’horreur que Kurosawa nous prend à revers. D’un plan en plein jour, presque trivial dans sa façon de présenter un personnage à l’aura mystique, il se voit prendre des atours plus pernicieux lors de sa seconde conversation avec ce même personnage. Non content de s’infiltrer dans son lieu de vie, il s’immisce dans son cerveau en lui posant diverses questions intimes. C’est ici qu’il prend véritablement forme comme un être hors du monde, cloîtré dans l’ombre, seule la lumière de son briquet l’éclaire autant qu’elle hypnotise ses victimes.
Comme il le dit plus tard : “Mon intérieur est à l’extérieur, je suis vide.” Son questionnement métaphysique se pose dans ce choix de ne plus exister psychiquement, se servant des autres comme un moyen révélateur de nos pulsions de mort. En tant que personnage fantomatique et insaisissable, son vide agit comme le symptôme d’une société malade, à la manière de l’entité post apocalyptique de Kairo. En cela, le motif d’une porte entrouverte qui revient au long du film, doublé de notre position de spectateur voyeur, est celui d’une infiltration dans la psyché humaine dans ce qu’elle a de plus sombre.
C’est en cela que Kurosawa joue des attentes du public, qui comme les détectives au début du film veulent trouver des réponses logiques et rationnelles à une problématique impossible. Cette peur de l’irrationnel et de l’inconnu inhérente à l’esprit humain se retrouve représentée dans cette lente descente vers l’angoisse. La banalité du meurtre vient rejoindre la souffrance du personnage principal, en proie à une crise existentielle qu’on retrouve dans sa vie personnelle. Cette peur infiltrant le quotidien, source d’angoisses profondes dans le fait de s’occuper de sa femme malade. Les éléments les plus triviaux comme l’eau ou la flamme du briquet de Miyama deviennent les catalyseurs d’une angoisse existentielle, contaminant la psyché des personnes émotionnellement instables. Ce sentiment de perte de contrôle chez Takabe, entre l’enquête et son couple, devient plus trouble lorsqu’un lien se crée avec Miyama ou une dualité se crée.
Et s’il n’était pas le seul à pouvoir user de cette capacité fondé sur la psychanalyse et les théories de Franz Mesmer, ayant conçu l’idée d’un fluide magnétique universel utilisé dans un but thérapeutique. Ce concept peut être décrit comme une transe se rapprochant de l’irrationnel et de la magie. Par la dichotomie de l’ancrage dans le réel et des théories controversées sur la psychologie, Kurosawa nous perturbe. Ce doute du réel implicitement mis en place par un onirisme ambiant se concrétise chez le protagoniste, pas seulement par une forme de double des capacités de Miyama mais d’un être qui se pose des questions existentielles : qui suis-je réellement dans ma vie ? un détective ? un mari ? qu’est-ce qui fait de moi ce que je suis ?
Le fait de devoir rentrer dans des codes sociaux qu’a depuis longtemps abandonnés Mimaya se retrouve dans l’image du visage sans visage retrouvé dans son appartement. Ce symbole met en avant ce trouble de l’existence, de l’individualité et de notre mémoire, une crise venant donc d’une anxiété du quotidien. C’est cela que révèle Miyama à ses “victimes” et c’est ce dont prend conscience Takabe. Non pas de l’abîme de son propre mal (comme chez David Fincher) mais l’abîme de sa propre existence et par extension le vertige de nos propres failles et place dans le monde. Nous laissant perplexe et perturbé longtemps après le visionnage.
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Créée
le 22 déc. 2021
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