"Cyrano" est une de mes pièces préférées, dont l'histoire de la création a récemment été montée avec autant d'humour que de finesse par le metteur en scène le plus doué de sa génération, Alexis Michalik, dans "Edmond". Le Britannique Joe Wright avait ébloui ma jeunesse avec notamment ses remarquables "Reviens-moi" et "Orgueil et Préjugés", il sait filmer, c'est indéniable, et cette fois, dans cette nouvelle adaptation en costume, il accomplit la prouesse de nous faire oublier Cyrano et son célèbre appendice en filmant Peter Dinklage comme un grand acteur (sans mauvais jeu de mots) charismatique, et non comme un nain. Les plans sont admirablement composés, à aucun moment sa taille ne crée un déséquilibre ni n'apparaît grotesque, et la thématique obligée de la scène d'ouverture (il se fait traiter de "monstre" et tue son adversaire en duel, fine lame autant que fine langue qu'il est...) est totalement abandonnée par la suite pour laisser la place à Cyrano et à sa verve au parfum d'ailleurs. De la même manière, le réalisateur a l'intelligence de filmer les acteurs noirs à l'égal des autres personnages, et non comme des quotas d'acteurs racisés : peu importe au fond que Christian Neuvillette soit noir, l'important c'est qu'il soit bel homme et soit incapable d'aligner deux mots cohérents... Le capitaine des gardes est noir également, mais à aucun moment cette caractéristique physique n'est utilisée car elle n'a aucune importance dans le scénario. De la même manière, une certaine harmonie dans le visage de Peter Dinklage se trouve révélée par l'amour qui apparaît dans les yeux de Roxane à la toute fin dans la célèbre scène du couvent.
Il faut bien sûr éviter de voir ce film doublé en français (comme moi, qui n'ai pas eu le choix dans ma province reculée...) car si les chansons ne sont pas traduites, le bel organe de Peter Dinklage, très grave, est tout de même perdu par l'acteur qui le double quand il parle, ce qui est franchement dommage. En revanche les chansons sont intégrées très subtilement dans les scènes et même si toutes ne sont pas aussi réussies que "Wherever I Fall", lors de la scène du champ de bataille, à la fin, la plupart tiennent quand même la route et contrairement à celles de la plupart des comédies musicales, ne sont jamais interprétées avec une grandiloquence ridicule. Non, ce qui manque cruellement, c'est malheureusement l'émotion, douloureusement absente de bout en bout (l'amour touchant Roxane et Neuvillette est totalement parachuté), on ne s'attache à rien ni personne, tout est trop rapide alors qu'il s'agit pourtant d'un drame. Quand aux méchants, ils sont trop tournés en dérision pour représenter une menace sérieuse, le duc de Guiche rappelant furieusement le méchant duc de "Moulin Rouge !" sans en avoir la stature...
Et puis bien sûr on regrette les alexandrins originaux, que l'anglais détourne méthodiquement pour en faire une nouvelle oeuvre, certes, mais dénaturée et vidée de sa substance, alors qu'on aurait aimé les déclamer en même temps que les personnages comme des élèves bien sages qui ont retenu leur leçon depuis tout ce temps...