Est-ce qu’on a atteint le point de non-retour, là ?
Oui ? Non ? Peut-être ? Je ne sais pas. A dire vrai, je n’en suis pas totalement sûr.
En ce qui me concerne, je sens malgré tout que ça tangue de plus en plus.
Ce n’est pas faute de l’avoir senti venir. Ce n’est pas faute de l’avoir annoncé à de multiples reprises. A raison d’un à deux films par an, Quentin Dupieux participe lui-même à tendre le piège dans lequel il s’apprête à tomber.
Dans lequel il tombe peut-être même déjà.
Ce piège, c’est celui d’un cinéma circumambulatoire ; tournant sans cesse autour des mêmes marottes et récitant en permanence les mêmes mantras ; au point de creuser, à force de foulage de pieds, les fastes landes sauvages qui en faisaient jadis l’intérêt.
Alors oui, on pourra bien évidemment louer le talent du bonhomme à poser un univers décalé, lequel s’insérant habilement au sein d’un jeu de contrepieds et de tarabiscotages logiques qui peuvent faire honneur au personnage de Salvador Dali.
On pourrait d’ailleurs tout autant louer Dupieux ne serait-ce que pour ça : le simple fait de s’attaquer à une vache sacrée telle que Dali.
Car l’air de rien, s’imposer un sujet, c’est se poser une contrainte. C’est se priver d’une certaine liberté. C’est s’obliger à respecter un objet culturel dont on ne saurait dire ou montrer n’importe quoi.
Voilà bien une démarche nouvelle pour Dupieux. Une prise de risque serait-on presque tenté de dire. Et un pari gagnant au bout du compte puisque non seulement l’exercice colle en partie à l’esprit qui habitait l’œuvre du fantasque artiste espagnol, mais en plus de cela la greffe entre les deux univers artistiques – celui de Dali et de Dupieux – prend au final plutôt bien, aboutissant à un ensemble qui a globalement du sens.
Seulement voilà, au bout du compte, j’ai du mal à considérer ce constat comme étant en mesure de peser face à cet énorme éléphant qui commence à prendre de plus en plus de place dans toute salle obscure qui se décide à projeter un film de Quentin Dupieux. Et cet éléphant dont je parle c’est bien évidemment Quentin Dupieux lui-même.
Dupieux et ses éternelles lubies formelles pour commencer. Ou pour le dire autrement : Dupieux et son perpétuel jeu de défausse.
La mécanique est tellement connue qu’elle en devient gênante pour qui suit l’auteur depuis ses débuts.
C’est toujours la même chose. Toujours du désamorçage par l’absurde, puis de la justification de cet absurde par la répétition des motifs par lesquels celui-ci se manifeste.
C’est un enchainement permanent de contrepieds formels visant à rompre avec les attendus comme dans Wrong ou Réalité.
C’est un enchevêtrement de récits dans le récit dont on finit par effacer les bornes, comme dans Rubber, Fumer fait tousser ou Réalité.
Ce sont des motifs absurdes qui se reproduisent et qui traversent indifféremment les strates de récit, comme ici un cowboy tirant sur un clerc… (…Et qui répond aux apparitions de l’énigmatique jardinier de Wrong ou de celles du travesti en Jeep de Réalité.)
C’est de la dérobade finale du « tout ça c’était une fiction » comme dans Au poste ! ou Réalité.
Et c’est enfin cet art du cabotinage permanent qu’on laisse à une troupe dont on reconnait plus que jamais les têtes : Anaïs Dumoustier, Gilles Lellouche, Pio Marmai, Agnès Hurstel, Laurent Nicolas, Jérôme Niel… Tous déjà vus dans les films précités.
Alors certes, tout ça n’est jamais inefficace, loin de là. Ça peut régulièrement déclencher des sourires amusés, ça je ne le nie pas.
Mais d’un autre côté on retrouve vite ses marques. On voit venir de loin. On sait très rapidement où ça va. Et avec Dupieux, ces derniers temps, ça va toujours plus ou moins au même endroit : c’est-à-dire vers sa quête permanente de légitimité.
C’est usant.
A chaque fois ce motif redondant qui finit par occuper le centre de l’écran.
Au fond Dali on s’en fout vite.
Comme un symbole, au début comme à la fin, le personnage mis au centre de l’attention c’est surtout le personnage incarné par Anaïs Dumoustier.
C’est elle qui ouvre le film. C’est elle que Dali s’efforce à plusieurs reprises de chasser à la fin.
Or que joue Anaïs Dumoustier dans ce film ? Une pharmacienne qui s’est engagée dans le domaine du journalisme un peu par hasard et par naïveté. Quelqu’un qui souffre en permanence du syndrome de l’imposteur.
Quelqu’un qui se fait engueuler et malmener par les gens du système…
Rolalah ! Mais je me demande bien à quoi ce personnage peut bien faire écho !!!
Dali lui-même ne finit par apparaitre dans ce film que comme un faire-valoir de Dupieux.
Oui, Dali était excentrique. Oui, il était surfait. Mais n’était-il pas une forme d’incarnation sublime d’art personnifié ? Voilà un angle qui, de toute évidence, n’est pas totalement désintéressé.
J’en suis même arrivé à me dire qu’au bout du compte – et cela dès le départ – Dali était peut-être même de trop dans ce film. L’avoir fait jouer par une demi-douzaine d’acteurs différents n’était sûrement pas si anodin que cela.
Personnellement, je trouve que ce subterfuge n’apporte rien, bien au contraire. Plus que Dali, on voit en permanence Baer jouer Dali, Cohen jouer Dali, Lellouche jouer Dali, etc.
Rappelé en permanence à l’artifice de son incarnation, le personnage ne s’en retrouve finalement réduit qu’au simple statut de gadget. Un artéfact renvoyant en permanence au maitre artificier qui lui donne vie : Quentin Dupieux, encore et toujours.
Pour ma part, ce trip égotique me fatigue de plus en plus.
Il me fatigue parce qu’il ne cesse de se répéter de film en film.
Et surtout il me fatigue parce qu’il ne sert pas le cinéma de Dupieux.
Preuve en est : alors que j’arrive au bout de tout ce que je comptais exprimer au sujet de ce film-là, j’en viens à me rendre compte qu’au final, je n’ai quasiment pas parlé de ses qualités.
Alors que pourtant, des qualités, ce film, il en a. Parce qu’il le maitrise son art du contrepied, le bonhomme ! Ça on ne peut pas lui retirer…
Des choses qui font mouche, dans ce film, il en a des tas.
Seulement voilà, parce que chaque idée présente dans ce film rappelle sans cesse aux procédés habituels de l’auteur ; parce que chaque chose présente dans ce Daaaaaali ! n’apparait que comme une simple décalcomanie de quelque chose d’antérieur ; tout effet n’est dès lors amené qu’à porter à moitié.
Alors oui, ça porte hein… Mais à moitié.
Et de moins en moins.
Rapidement et sûrement, Dupieux est en train de rejoindre les Takeshi Kitano, Tim Burton et autres Wes Anderson au rang de ces auteurs pour qui chaque film n’aura été qu’une occasion de plus de polir une même formule jusqu’à ce que celle-ci arrive à maturité.
Chacun de ces auteurs a d’ailleurs eu cette œuvre qui a été l’aboutissement de leur art. Et c’est à partir de là qu’a commencé la circumambulation. Le piétinement. L’usure…
…Jusqu’à sombrer dans l’autocaricature.
Dans le cas de Dupieux, ce film de l’aboutissement, ça a été pour moi Réalité. Indubitablement.
Depuis il y a eu sept films. Dit autrement, Réalité, ça commence à faire loin, et l’usure devient, à mes yeux, de plus en plus palpable dans le cinéma de Dupieux.
Alors certes, ce Daaaaaali ! n’est pas immonde ni dénué d’intérêt, entendons-nous bien.
Par contre, il est un wagon de plus accroché au train-train de Quentin.
Un train-train qui, à force de tourner en rond, en recherche de légitimité,
Creuse un trou dans lequel son auteur est en train, malheureusement, de s’enterrer…