Si on devait citer le réalisateur ayant le style le plus proche de Quentin Dupieux, Luis Buñuel me paraîtrait être la réponse la plus évidente. Pas uniquement parce que Dupieux fait une référence à un plan très célèbre du Chien andalou dans Incroyable mais vrai, mais parce que les deux sont capables de pousser très loin le curseur du surréalisme, tout en ne rechignant pas (au contraire !) à faire des plongées assez profondes dans le réalisme.
Ici, dans Daaaaaali ! (j'espère que je n'ai pas oublié de "a" !), c'est le surréalisme qui règne en maître absolu. Déjà quand le principal sujet du film n'est autre que Salvador Dali, ou plutôt son univers ainsi que la persona que l'artiste s'est créé. Mais je vais revenir sur Dali un peu plus loin.
Oui... comment ? Euh, on est chez Dupieux. Celles et ceux qui s'attendent à un biopic un minimum classique peuvent tout de suite se tirer. Je le rappelle, on est chez Dupieux. Oui, voilà, c'est un non-biopic.
Pour en revenir à Buñuel, durant la fin de sa carrière, qui a eu lieu en France, pour retrouver autant de l'audace, dont il a fait preuve dans quatre de ses cinq derniers films (La Voie lactée, Le Charme discret de la bourgeoisie, Le Fantôme de la liberté, Cet obscur objet du désir !), il faut remonter à ses tout débuts, en France aussi, avec Le Chien andalou et L'Âge d'or. En effet, le surréalisme ne se laisse jamais aussi complètement aller que dans les œuvres susmentionnées. Le Monsieur faisait ainsi aboutir totalement un virage qu'il avait déjà commencé à reprendre lors de sa période mexicaine, dans la première moitié des années 1960 (avec L'Ange exterminateur et Simon du désert !). Bref, pour le résumer en une seule phrase, dans sa vieillesse, il avait retrouvé l'audace de sa jeunesse.
Et Dali dans tout ça, vous dites ? Le même Dali qui avait coécrit les scénarios du Chien andalou et de L'Âge d'or (pour être plus exact, pour ce dernier film, le peintre avait très vite quitté le projet, après une fâcherie, définitive, entre les deux hommes !) ? Ben ouais, l'influence de Buñuel n'est pas du tout incompatible dans un long-métrage voulant faire ressentir c'était quoi Salvador Dali.
Le même personnage incarné par plusieurs acteurs, y compris au sein d'une même séquence, sans la moindre logique apparente, est une reprise du même procédé que dans Cet obscur objet du désir. Le coup du rêve, voyez dans Le Charme discret de la bourgeoisie. Même esthétique visuelle que le Buñuel des films susmentionnés (mise en scène technique sobre pour servir des situations dingues !), même goût pour les récits déroutants (aussi bien par leur contenu que par leur narration avec moult emboîtements ; cette dernière est, par ailleurs, la principale source de comédie ici !) qui n'en finissent pas. Le prêtre abattu par un cowboy américain n'aurait pas détonné chez un cinéaste qui ne manquait pas une occasion de ridiculiser les autorités cléricales.
Et Dali ? On retrouve de son univers visuel (dès le premier plan, semblant vouloir nous avertir qu'il faut faire fi de toute logique pour la suite !), de ce qui faisait la personnalité extravagante, capricieuse, narcissique, faussement je-m'en-foutiste (alors qu'en réalité, il était très rigoureux avec son art !) qu'il incarnait. Sa plus grande création, plus encore que ses toiles. C'est ça le cœur du film.
Si Salvador Dali, Luis Buñuel et aussi les Monty Python (la scène du couloir de l'hôtel est un clin d'œil aux génies de l'absurde à la sauce anglaise !) vous indiffèrent, vous n'allez pas aimer des masses. Si vous kiffez par contre, vous allez adorer. Et si vous adorez Daaaaaali !, sans rien connaître des trois noms que j'ai cités en début de paragraphe, ben, c'est que vous les kiffez sans encore les connaître.
En technicien rigoureux, faussement je-m'en-foutiste, Dupieux nous gratifie encore d'un visuel admirable, rendant hommage à ses maîtres. Et si Pio Marmaï et Gilles Lellouche sont peu à l'aise avec l'exercice (ce qui justifierait le fait que l'on les voit peu et qu'ils sont peu causants lors de leurs courtes et rares apparitions !), Edouard Baer et Jonathan Cohen (oui, je m'apprête à dire du bien de cet acteur pour la première fois de mon existence !) sont particulièrement excellents derrière la moustache de notre protagoniste. Le reste de la distribution n'est pas en reste, que ce soit par le biais de fidèles du réalisateur (Anaïs Demoustier, quatrième collaboration avec Quentin, première sans une coupe de cheveux ridicule, en boulangère... euh, pharmacienne déterminée qui court sans arrêt après une interview de notre caractère, ne parvenant jamais à se concrétiser... oh Buñuel quand tu nous tiens, Agnès Hurstel, en assistante !) que de petits nouveaux (Romain Duris, au top de sa forme en producteur faussement bienveillant, vraiment odieux... tiens, serait-ce une petite pique envers le milieu du cinéma ?, Eric Naggar, en prêtre qui conte son interminable rêve !). À cela, on peut ajouter un thème musical, à la guitare et aux sonorités hispaniques, mémorable, entêtant, volontairement répétitif de Thomas Bangalter, parfait pour accompagner ce délire sans fin (quoi de mieux qu'un Daft Punk pour atteindre cet objectif !).
Tout ceci donne un résultat saaaaaavoureux.