S’il y a bien une chose à laquelle excelle Hollywood, c’est d’égratigner sa propre image et de faire ainsi apparaître l’usine à cauchemars sous le vernis de l’usine à rêve. Dalton trumbo de Jay Roach est de ce genre-là. S’étalant sur près de trente ans, le film relate les évènements de la tristement célèbre « chasse aux sorcières » qui a conduit un grand nombre d’artistes et de techniciens à être évincé du circuit hollywoodien. La haine et la peur du communiste deviennent alors les moteurs d’une traque paranoïaque qui contraindra de nombreuses victimes à dénoncer leurs propres amis. Un vrai scénario de thriller clé en main que les studios hollywoodiens ont pourtant été longtemps très frileux d’adapter.
Les producteurs du film ont eu la bonne idée de resserrer ce thème de la « blacklist » autour de celui qui en a été le plus victime, le scénariste Dalton Trumbo, interprété à merveille par Bryan – SAYMYNAME ! – Cranston. Les décisions politiques qui ont conduit à l’élaboration de cette « blacklist » importent peu dans le film et n’y seront pas explicitées. Le film, très bon élève et soucieux de ne pas perdre son spectateur en cours de route, nous gratifiera tout de même d’une scène type « le-communisme-expliquée-à-ma-fille-avec-des-métaphores-alimentaires. » Hormis cette scène, le film parvient à éviter l’écueil du manichéisme et de la caricature, en montrant ainsi des hommes tiraillés entre le désir de sauver leur carrière et la crainte de devoir dénoncer leurs amis. Le film n’occulte pas non plus les paradoxes, notamment celui qui nous montre Trumbo vivre une vie de bourgeois aux antipodes des principes idéologiques qu’il défend. La recherche de la sincérité et de la précision historiques semblent donc être de mises. Ce qui semble intéresser Jay Roach est plutôt de montrer l’onde de choc terrible – depuis le licenciement de Trumbo jusqu’aux répercussions que cela peut avoir dans sa vie de couple – que constitue le fait d’être mis à l’index. Hollywood devient ainsi le monstre de sa propre fiction : une entité horrifiante qui finit par mordre la main de ceux qui l’ont nourri. La grande force de ce film réside dans l’écart que celui-ci creuse entre son style, ancré dans un classicisme hollywoodien de papier glacier, et la virulence de l’attaque contre les représentants de ce classicisme – John Wayne en première ligne. Ce dernier cristallise à lui seul tout le conservatisme de cette partie d’Hollywood pour qui « a good communist is a dead communist. »
Si le film a le mérite de lever le voile sur une période à la fois dense et peu connue outre-Atlantique de l’histoire hollywoodienne, celui-ci a toutefois l’écueil d’être un film de cinéphile pour cinéphiles. On sourit à regarder les acteurs faire revivre les spectres de John Wayne, Otto Preminger ou encore d’Edward G. Robinson. John Goodman quant à lui semble prendre plaisir à réanimer un lointain cousin du personnage de réalisateur de films Z qu’il incarnait dans Panique sur Florida Beach de Joe Dante.
À l’heure où le conservatisme fait planer une nouvelle ombre menaçante au-dessus des états unis, il paraît donc vital de prendre conscience du danger que celui-ci a pu constituer pour la création cinématographique. Dalton Trumbo est donc une œuvre nécessaire, moins pour ses qualités cinématographiques que comme témoignage d’une période historique au cours de laquelle la peur occultait la raison.
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