Je crois que je suis un peu seul au monde face à ce film. Déjà, je l'ai vu en VO non sous titrée, et y a des moments où il faut clairement s'accrocher pour saisir tout le sel des dialogues ultra littéraires de Stillman.

Le film puise son esthétique dans celle des fictions très américaines et niaises des films et séries de campus de années 70 et 80 : photo volontiers diaphane ou pastel, frange mordorées de lumière, fins de séquences en fondu enchaîné après un silence complice et une réplique sentencieuse, amorce où une branche d'arbre dans la lumière vient toujours squatter un coin, parfois de manière totalement manifeste ou farfelue.

Il ne faut en aucun cas prendre cette sophistication kitsch au premier degré. De même pour le jeu des jeunes comédiens, très affecté, à la diction étudiée, aux expressions parfois étranges. Stillman film un microcosme et des mécanismes de groupe qui existent bien, mais pas sous cette forme très rétro et quasi impossible à situer précisément dans le temps. Violet dirige naturellement un groupe de filles dociles et apparemment détestables : elles veulent être amies et aider tout le monde, mais ont des principes douteux et des manies franchement peu aimables. Et pourtant, outre le rire provoqué par l'observation douce amère de ces quelques déphasées, on se prend peu à peu à aimer la carte du tendre dessinée par le film.

3 des 4 héroïnes auront ainsi une trajectoire amoureuse complexe, où les garçons, au nombre de 4, seront plus ou moins interchangeables et interchangés. Les identités sont floues, parfois usurpées, et Violet elle-même n'est pas celle qu'on croit. Les dialogues brillants inscrivent l'oeuvre dans un hors temps où seul compte le plaisir du verbe et on ne compte plus les répliques absolument géniales, qu'il soit question de savon, d'odeurs, d'amour, d'amitié ou de "doufi" - dont l'orthographe n'est pas conventionnelle, mais préférée.

Le sens du burlesque délicat esquissé par le cinéaste trouve en Greta Gerwig, la géniale interprète de Violet, une parfaite incarnation. Phrasé, gestuelle (elle est danseuse et ça se voit, la danse occupant une place dans tous ses rôles au cinéma - voir Frances Ha), regards, sourires. Elle parvient à faire aimer son personnage de névrosée artificielle et emporte finalement l'adhésion par une vraie générosité et une forme d'être à soi toute personnelle. Les scènes finales dansées sont absolument brillantes, totalement décalées.

Bref, je ne comprends tout simplement pas le rejet dont ce film fait souvent l'objet, il s'agit d'un objet atypique,sensible, drôle, un peu autiste et totalement second degré. Un bel OVNI.
Krokodebil
8
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le 15 sept. 2013

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Krokodebil

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