Dans la vallée d'Elah par Alligator
Film coup de boule au ventre. Je suis sorti malaisément du film, avec une petite nausée résiduelle. Ce n'est évidemment pas un film agréable. Il est ardu, doté de scènes belles et difficiles à la fois. Les acteurs notamment parviennent à nous sortir les larmes avec des petits riens, je pense là aux balancements du corps de Tomy Lee Jones quand il se retient d'exploser de douleur à entendre sa femme pleurer la mort de leur fils (oh je ne spoile rien, c'est une évidence dès le départ). Cette scène par exemple est bouleversante. Par des petits riens, les deux comédiens se donnent la réplique, à distance en même temps que spectaculaire. La composition de Theron, au bord des larmes tout le long du film, entre colère et dégoût n'est pas à remiser au fin fond de la mémoire, elle est solide, accrochée avec les dents, tout le long. On la sent investie, comme son alter ego masculin.
Le film éminement politique est d'une incorrection phénoménale (du moins pour les USA). La toute fin m'a scotché, je ne pensais que le cinéaste oserait cette démonstration jusqu'au bout. J'évoque là le drapeau. Et pourtant, il a osé. Le parti pris de la dégénérescence à laquelle sont menés les soldats de la guerre en Irak... comme celle du Vietnanm d'ailleurs, cette dégénérescence n'est pas démontrée de manière tout à fait subtile au fond. Ca a l'air. Mais finalement l'argument est somme toute massue, ne faisant pas vraiment dans la dentelle. N'empêche. Il atteint son but. Le film n'en demeure pas mois très fort ET subtil dans la forme. Grâce aux personnages, et aux relations qu'ils nouent entre eux. La subtilité et la finesse de caractérisation du scénario résident plutôt là que dans le slogan politique général (je veux dire par là que tous les soldats ne reviennent pas déglingués de la guerre, aussi dégueulasse et hypocrite soit-elle, de même que ceux qui reviennent détruits psychologiquement ne le sont pas uniquement du fait de la barbarie des combats). Il faut prendre le film, je suppose, plus sous l'angle de la tranche de vie, ou de l'illustration extrême d'une tranche de vie, déformée par le système et les contradictions du discours face aux actes politiques. Et sur ce point le film d'Haggis montre bien le contexte, l'environnement idéologique, quasi culturel qui met en branle une telle guerre et le fourvoiement politique dans lequel se retrouve tout un pays, et au premier rang duquel on retrouve tous ces jeunes gens, pas préparés à subir l'horreur de la guerre. On voit bien comment il est dur de revenir indemne d'un truc pareil, comme l'individu perd pied et raison dans un affrontement avec sa propre humanité, sa peur, le dégoût de soi etc.
Quoiqu'il en soit, ce film sur la guerre et le retour au pays rappelle ces autres films du passé, des années 70 et 80 qui fustigeaient le bourbier vietnamien. Ce film, maquillé en une enquête policière, a quelque chose à voir avec une sorte de retour d'un "Voyage au bout de l'enfer" en quelque sorte. En témoins de l'indicible, un père belligérant, croyant, républicain, portrait type du républicain militariste pûr jus, fier de son drapeau et plein de respect pour l'idéal péroré. Et une mère exacte contraire, mais qui va affronter les mêmes fantômes pourtant. Droite, gauche, même combat.
Sur une trame somme toute conventionnelle, disons... en apparence, Haggis transforme une quête personnelle et intime en un discours politiquement incorrect d'une violence sourde très efficace.
C'est fort. Difficile mais quelque part plein d'enseignement, en somme... indispensable.