De L'Or Pour Les Chiens nous fait suivre Esther, ce qui signifie (pour faire court) "cachée", mais aussi la myrte, dont la forme d'étoile nous renvoie au grec : aster, "étoile", c'est beau ?
Esther est une héroïne du Livre, reconnue pour être une femme d'une grande piété, belle, sage, brave et résolue, mais aussi prudente, elle fût déportée, devenue reine de Perse par mariage sauvant son peuple d'un complot meurtrier.
Revenons au film en tant que tel, parce que ça commence mal : le film s'ouvre sur une scène de sexe où l'on voit un jeune homme un peu (c'est un euphémisme) bourrin honorer sa conquête du moment parce que c'est l'été, qu'il fait beau, etc, etc...
Moi qui ne peux pas supporter ce genre de scènes, la plupart du temps inutiles, je me demande alors "mais où donc Anna Cazenave Cambet veut-elle m'emmener ?"
Ah oui, elle avait bien un but, même plusieurs, ceux qu'elle avait consciemment, et ceux qu'elle a laissé échapper, qui sont bien évidemment ceux qui m'intéressent le plus.
Esther subit parce qu'elle veut plaire, satisfaire, être aimée comme elle aime. Elle passe donc du baiseur indifférent (je me permets ce langage sous couvert de la réalisatrice), au prophète violeur, puis le beau-père incestueux et la mère qui n'en est pas une, indifférente, se positionnant plutôt en rivale, en copine. Bref, Esther ne peut s'étayer sur rien d'autre que sur son profond et gigantesque désir de vivre :
"Elle traverse l'autoroute !", cette phrase de Talullah Cassavetti, lors de la rencontre en dit long sur le personnage.
Esther veut
"sentir autre chose que [ton] absence"
Perdue dans ce monde qui ne la comprend pas, celui de la sortie de l'adolescence, de la confrontation à l'âge adulte, la première rencontre se fait finalement lorsqu'elle demande asile au couvent. Qu'est-ce que demander asile ? Historiquement, un asile est un lieu inviolable où pouvait se réfugier une personne en danger ; et d'un point de vue littéraire, l'asile est un lieu où l'on trouve la paix. En l'occurrence, le lieu d'étayage pour Esther. Et dans ce couvent, où il y a toujours un homme
et pas des moindres,
Esther y entend que
celui qui boîte ne se fera pas d'entorse. Bien plus, il sera guéri.
Et puis, il y a cette deuxième rencontre, celle de Soeur Laëtitia, ce qui signifie joie, allégresse.
Soeur Laëtitia a fait voeu de silence, voilà deux ans qu'elle n'a pas parlé.
Et c'est à la beauté de Laëtitia qu'elle a su voir, qu'Esther va s'adresser. Parce que finalement, on ne parle qu'à ceux qui nous écoutent et on n'entend que ceux qui ont une parole pleine. J'aurais aimé ici rapporter la tirade de Laëtitia.
Il y a dans leur échange (Esther-Laëtitia) tout une tonalité mélancoliforme contre laquelle elles luttent chacune à avec leurs armes et que l'on retrouve dans le signifiant "puer-puant" : Esther et Jésus, le chat, puent et Laëtitia évoque ces corps puants, intimant à Esther de
cesser de [la] ramener à la vie
Et parce que Esther est
jolie, vulgaire, on peut [t']aimer
Vulgaire s'entend ici au sens du commun des humains lui donne accès à la vie, par contraste avec la route sacrée de Laëtitia, comme le dit son double en le personnage de la jeune retraitante.
Le propos du film m'a évoqué la proposition de Jacques Lacan donnait sur l'amour :
L’amour se distingue du désir […] car sa visée n’est pas de satisfaction, mais d’être. Quand l’amour se réalise symboliquement dans la parole, il se dirige vers l’être de l’autre.
Il dit aussi que
L'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas
De l'or pour les chiens ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ?
"J'en sais rien", répondit Anna Cazenave Cambet, et c'est la meilleure réponse qu'elle pouvait donner. Cela ajoute à la dimension surréaliste de sa conception... du film évidemment...
L'archétype encore une fois de ces films que j'adore parce qu'il y a de l'inconnu, de l'insu et que le film se co-créé avec le spectateur/la spectatrice. Point ici de prêt à penser ou de vérité révélée.
Ce film dramatique, dur, est une profonde ode à la vie, à se battre pour être sur sa scène, et ce que la mer monte ou pas, que la mère manque, c'est toujours là que ça se passe !
Et le film n'est pas sans m'évoquer la conclusion que Raymond Queneau mit dans la bouche de Zazie (dans le métro), de ce parcours initiatique, Esther pourrait elle aussi en dire :
j'ai grandi
Acte 3 : Esther va pouvoir finalement boîter sa vie...
Non mon hypothèse je la garde pour moi... Mais on en discute si vous voulez...
Très bonne séance !