S'il n'était pas l'adaptation d'un des sommets de la littérature américaine contemporaine on pourrait sans difficulté qualifier le film de chef d'œuvre.

Seulement voilà, pour tout ceux qui auront lu le récit de Capote ils reconnaîtront une adaptation fidèle et rigoureuse mais qui apporte bien peu. Immanquablement elle appauvrit le discours au combien complexe du roman. C'est le lot de toutes les adaptations de grands livres et c'est le genre d'exercice périlleux, souvent décevant, dont Brooks s'est fait le spécialiste (adaptant également Dostoïevski et Conrad, pour ne citer qu'eux).


Il faut reconnaitre à sa réalisation d'être d'une grande intelligence, d'avoir parfaitement su diriger ses acteurs pour rendre les psychologies complexes de nos deux meurtriers. Mais c'est au détriment des autres protagonistes qui, chez Capote, sont tous décrits en profondeur et dans toutes leurs contradictions, qu'il s'agisse de l'inspecteur en charge de l'affaire ou des membres de la famille Clutter. Son efficacité aussi il l'emprunte au livre, lequel tisse avec une précision d'horlogerie une intrigue qui, sans jamais nous cacher l'identité des coupables, parvient à ménager sans cesse le suspense concernant certains éléments du crime ou de l'enquête.


La présence de ce personnage de "journaliste" anonyme qui fait parler l'inspecteur et plus tard les criminels eux-mêmes, l'introduction tardive d'une voix-off, sont autant d'éléments qui traduisent les impasses cinématographiques dans lequel s'est retrouvé le cinéaste. A la matière si dense et si organique du roman répondent des incongruités dans le langage cinématographique du film. Certains flashbacks du personnage de Perry paraissent à ce titre grossiers et démonstratifs, il en va de même pour certains dialogues. Si cela est compensé par plusieurs idées brillantes cela nous rappelle néanmoins sans cesse à la matière littéraire contre lequel le cinéaste semble sans cesse lutter. Comme s'il essayait, en vain, de ne pas perdre jamais perdre une goutte de sens, d'information.


Les spectateurs qui n'auront pas lu Capote devraient en revanche, comme en témoigne la très bonne réputation générale du film, y trouver leur compte. Et c'est indéniable que le film détonne dans le genre du film policier/film noir de son époque. Il est précurseur dans son ton, son rythme, de bien de thriller "true crime" que nous voyons aujourd'hui dans nos salles de cinéma ou sur nos écrans de télévision.


De manière générale Brooks ne va jamais plus loin, ou plus haut que le roman. La transposition au cinéma n'apporte rien, elle ne fait qu'illustrer quand elle ne simplifie pas.

Naoo
6
Écrit par

Créée

le 24 mai 2024

Critique lue 6 fois

Naoo

Écrit par

Critique lue 6 fois

D'autres avis sur De sang-froid

De sang-froid
Torpenn
8

Six personnages, enquête d'auteur

Tout de suite après la sortie triomphale du chef d’œuvre de Truman Capote, la question de l’adaptation se pose et un projet est lancé, réalisé par Richard Brooks dès l’année suivante, il faut battre...

le 25 nov. 2013

35 j'aime

4

De sang-froid
KingRabbit
8

Robert Blake, psychopathe en germe ?

C'est lui qui m'a traumatisé durant toute ma jeunesse, m'obligeant parfois à me réveiller en sueur en pleine nuit, à enfouir intégralement ma tête sous des couches épaisses de draps, et ce même par...

le 5 juin 2013

25 j'aime

5

De sang-froid
Docteur_Jivago
8

Le mal invisible

Tout va vite, très vite, le fait divers débute en 1959 avant de se terminer 6 ans plus tard, Truman Capote rédige son livre le racontant en 1966 et dans la foulée Richard Brooks tourne In cold blood...

le 1 sept. 2022

20 j'aime

7

Du même critique

Le Bouc émissaire
Naoo
4

Troubles identitaires franco-anglais

Deux sosies, l'un pauvre, solitaire et candide, l'autre riche, égoïste, désabusé. Une nouvelle vie trop belle pour être vraie. Ce qui aurait pu faire l'objet d'un film riche en mystères et faux...

Par

le 1 sept. 2023

2 j'aime

Yentl
Naoo
7

Au nom du Talmud

Emouvante situation que celle de Yentl, juive d'Europe de l'Est en 1904, qui désire ardemment se plonger dans l'étude du Talmud et vivre dans les livres d'érudits alors que sa religion l'interdit aux...

Par

le 2 sept. 2023

1 j'aime

Tirez sur le pianiste
Naoo
6

Swing Swing Bang Bang

Film foutraque qui alterne comédie, drame sentimental et, de temps en temps quand le scénario l'oblige, du polar. Truffaut semble principalement être intéressé par les tourments identitaires et...

Par

le 1 sept. 2023

1 j'aime