Condamné à mort, William Lammers attend son heure au fin fond de nulle part. Au moment de prononcer les dernières paroles auxquelles il a droit, il ne s'arrête plus, retardant l'exécution une nuit après l'autre. Il révèle ainsi une faille dans la législation, faille dont on va le pousser à profiter malgré lui.
Contrairement à ce que son titre rappelant le "Dead Man Walking" de Tim Robbins pourrait laisser croire, "Dead Man Talking" n'est pas un énième pensum sur la peine de mort . Mêlant comédie noire, suspense carcéral et thriller juridique, il fait le grand écart entre noirceur du sujet et audace du traitement. Certes, Patrick Ridremont raconte l'histoire d'un comédien raté devenu un meurtrier qui attend d'être exécuté dans l'indifférence générale d'une prison désaffectée et sordide. Pourtant, malgré la courte durée du film, son sujet est ailleurs. La peine de mort est ici un moyen d'évoquer trois notions : la liberté, la communication et le pouvoir.
En quelque sorte "dernier" rouage de la justice, le condamné à mort perd jusqu'à l'idée de liberté. Quel que soit son crime, son activité principale est l'attente. Sur cette base, l'auteur étudie plusieurs strates de la communication : celle qui existe entre deux personnes, qui crée un lien particulier, et celle émanant des médias, qui s'adresse au plus grand nombre. Le pouvoir, enfin, est celui qui décidera du sort de l'intéressé. Très vite médiatisé, son sort évolue, créant un réel suspense, entretenu par des journaux aux aguets. Un prisonnier anonyme dans une prison oubliée devient le centre de toutes les attentions.
Baigné de lumières verdâtres et agressives, "Dead Man Talking" prend des allures irréelles, et si le film a de la gueule, il évite également d'être assimilé au tout venant des pamphlets sociaux. Dans cet univers à la limite de la fantasmagorie, il dépeint pourtant des personnages et situations concrets. Affranchie de réalités historiques et géographiques, l'histoire gagne en liberté. En effet, l'action pourrait tout aussi bien se dérouler dans un état reculé de l'Amérique profonde d'un état isolé d'Europe centrale avec, en lieu et place des personnages attendus, des caricatures de belgitude prononcée.
Bien décidé à ne pas prendre son sujet à la légère, "Dead Man Talking" débute avec une violence inouïe. Cherchant à placer le spectateur sur un mauvais chemin, il le confronte a des actes dérangeants, sans lui fournir le mode d'emploi qui pourrait lui faire prendre le recul nécessaire. La suite est d'autant plus surprenante de légèreté, casant des gags là où ils pourraient détruire la tension mise en place. Tenant cette ligne de crête, "Dead Man Talking" est capable de surprendre, de faire naître le malaise d'un dialogue atonal puis de raviver la "bonne" humeur ambiante en un monologue que sa durée excessive rend irrésistible.
S'il s'octroie le rôle principal de son long métrage, le réalisateur fait de cet être abject le personnage le plus humain de son bestiaire et le confronte tour à tour à un journaliste aux dents longues, à une dircom calculatrice et à des hommes politiques qui collectionnent les déclarations chocs dans le seul but de grimper dans les sondages à la veille d'une importante échéance électorale. Aussi, quand le discours de l'homme, à la fois incroyable et émouvant, s'éternise et révèle une faille dans le système judiciaire d'un pays imaginaire, tout est réuni pour que les ambitions de chacun aient utilité de faire de ce "never been" non pas quelqu'un mais plutôt quelque chose.
Face à cette conjuration des imbéciles qui se servent de lui comme un moyen d'obtenir des voix, d'améliorer un audimat ou encore de se faire valoir, lui va se révolter contre cette déshumanisation après s'être vu réduit à son animalité. Assumé par cette double casquette de metteur en scène et comédien principal, le message est à la fois naïf et très efficace : devant réfléchir à son image alors qu'il devait mourir sans faire de vagues, William Lammers devient malgré lui le héros d'une quête de reconnaissance face au cynisme absolu dont il est le témoin.
Ici, le fait de parler, de se confier, de se libérer, revient à survivre. "Dead Man Talking" est une fable existentielle qui se voit et se revoit car elle prend un peu plus de sens à chaque vision. Merci à François Berléand de s'être battu pour que le premier film de Patrick Ridermont existe et puisse être montré et partager ce regard inspiré franc et sincère sur notre société hyper-médiatisée.
Rawi & Fritz_the_Cat