Adapté de Stephen King, Dead Zone fait figure aujourd'hui de film sans prétention, ancré dans son époque et à la lisibilité reposante. Et pourtant. On connaît l'écrivain pour ses histoires horrifiques et qui finissent toujours mal et là encore une résolution qui suggère tout autant le parti pris de King qu'une sorte de vision défaitiste notamment politique, et nous projette dans la science fiction tant l'histoire peut faire écho à l'actualité.
La fin de la vie rêvée d'un professeur amoureux projeté cinq ans plus tard dans un monde qu'il ne reconnaît pas et qui le rejette. Une profonde nostalgie d'un temps où la vie se déroulait avec simplicité et bonheur. Ce sera d'autant plus marquant que la direction du film se fait de plus en plus délétère à mesure que nous suivons le cheminement de Johnny sans pour autant user d'effet si ce n'est la musique lancinante.
Assez loin de la violence frontale que l'on connaît de Cronenberg il en ressort toujours une pointe de subversion et un mélange de genre. Du soupçon fantastique en passant par le genre thriller paranoïaque, pour le portrait d'un homme et de sa lente descente aux enfers, qui tente de rattraper le cours de sa vie.
Cronenberg joue de ses personnages. On s'attache surtout à Christopher Walken, égal à lui-même, jouant de ses regards et ses expressions pour marquer toute la déconnexion à un monde nouveau et rendent assez bien les tourments d'un homme devenu médium, mais qui n'en demandait pas tant. Soumis à une violence constante, la mort de sa mère, une ex fiancée chamboulée aux comportements néfastes, une mère à la relation toxique avec son fils malade, un enfant soumis à la dictature de son père, ou son antagoniste Martin Sheen en politicien manipulateur, tout concoure à l'agression mentale de l'homme, qui finira par prendre une décision sans retour.
De l'histoire avec ce qu'elle a toujours été (la guerre), à celle à venir par la potentielle victoire d'un Martin Sheen en futur président, arriviste et dangereux, ses éventuelles conséquences (guerre atomique) et plus généralement de l'injustice du pouvoir et de sa dictature, ce sera aussi le personnage du flic, tueur en série qui pose toute la difficulté de dénoncer et rendent parfaitement le dilemme moral de changer la donne ou pas.
Alors même si un manque de suspense peut déranger tant dans le déroulement de sa narration que dans sa mise en scène qui suit le cours tranquille d'un homme se trouvant maître de ses prémonitions, le film mérite le visionnage. Sans nous proposer de scènes vraiment fortes ou passant d'une situation à une autre, assez rapidement, le scénario signifie la difficulté de s'ancrer à la fois dans son nouveau rôle que de marquer les fractures du temps. On remarque quelques belles scènes où le sentiment d'être en dehors du temps est renforcé par les décors enneigés, la nuit et la solitude, ou encore quelques frissons bienvenus telle la vision de ce tunnel où se perdent des jeunes filles, les scènes de prémonition tendues et parfaitement rendues et la décision difficile que Johnny prendra aussi par dépit sur sa propre destinée.
On peut regretter aussi et être surpris par la scène de suicide de la salle de bain, qui semble en complet décalage, ou par la maladresse du cinéaste, avec la physionomie de Walken en bon professeur à lunette et à la coupe au bol ou lorsqu'il signifie à ses élèves et à nous par la même occasion, que le prochain cours portera sur un homme sujet aux esprits malfaisants...
C'est bien peu de chose finalement tant l'acteur investi son rôle et nous rappelle à cette sensibilité à fleur de peau de son personnage de Voyage au bout de l'enfer.
Le don de médium de Johnny s'apparente à une évolution de l'homme salvatrice face à la violence du monde ramenant la sensibilité comme réponse à la lutte mais l'isolement et l'incompréhension de Johnny le pousseront à se sentir investi d'une mission à sauvegarder l'humanité, passant de l'innocence à la radicalité.