Depuis 2016, les films Deadpool synthétisent une bonne partie de ce qui constitue le cinéma, en particulier hollywoodien, contemporain. Le mercenaire immortel était pour les cinéastes et les réalisateurs du pain bénit pour proposer des blockbusters totalement dans l’ère du temps cochant plusieurs cases de ce qui est appelé la post-modernité. Alors que les films de super-héros battent de leur plein, le MCU créant la surprise avec les inconnus Gardiens de la Galaxie deux ans plus tôt et s’apprêtant à mettre ses vedettes face-à-face dans le troisième volet de Captain America, la Fox a la bonne idée de s’éloigner des standards et donne sa chance à Ryan Reynolds pour ressusciter Wade Wilson aka Deadpool et faire oublier aux fans l’abjecte version de Origins Wolverine. Pari réussi, le film lance une vague de projets super-héroïques R-Rated car les majors se rendent compte que le public répond présent. L’ADN de Deadpool plaît tellement qu’une suite est lancée et que Kevin Feige en fait une priorité pour son MCU lorsque Disney rachète la Fox. Des craintes commencent ainsi à apparaître, Disney qui n’a jamais osé franchir le pas du R-Rated doit s’emparer d’un personnage comme Deadpool mais c’était sans compter sur l’envie de Reynolds et de Feige de ravir les fans. J’ai rapidement pu constater que ce troisième opus s’inscrit absolument dans la lignée des deux précédents, tout ce qui a fait leur succès est présent et la sauce MCU permet même de prolonger les caractéristiques post-modernes.
C’est la grande problématique du cinéma depuis 1977 : cette nouvelle version de penser et vendre les films est-elle révolutionnaire ou n’est-elle qu’une vaste escroquerie se reposant sur la facilité ? Deadpool ne concerne évidemment qu’une partie du cinéma post-moderne qui lui-même ne concerne qu’une partie du cinéma d’aujourd’hui, je ne vais pas le mettre dans le même panier qu’un film de Wes Anderson ou de Wim Wenders (deux cinéastes étant pourtant désignés comme post-modernes). Le cas Deadpool est à mon sens l’exemple parfait de la plupart des spécificités du blockbuster contemporain, de tout ce pan du cinéma cherchant à s’adresser au plus grand nombre via des films « fun », des films feu d’artifice reposant sur ce qui existe déjà et son arrivée dans le MCU a tendance à accentuer toutes ces idées. Le simple fait de s’inscrire dans un univers cinématographique en fait déjà un sérieux exemple dans un Hollywood noyé sous les suites, préquels, spin-offs, reboots et autres joyeusetés.
Quand les spectateurs se déplacent pour voir Deadpool, ils ne s’attendent pas à une intrigue qui retourne le cerveau et encore moins à une morale qui remettrait en question leur vision de la vie, ils y vont pour se divertir, passer un moment agréable en compagnie d’un personnage amusant et bagarreur. Beaucoup parlent de crise de la narration pour aborder le cinéma post-moderne et lorsqu’on s’attarde sur l’histoire pure des films Deadpool, on se rend compte qu’elle est effectivement secondaire car tout ce qu’il y a de plus simple, sans parler des facilités. Dans le premier, Wade cherche à se venger et dans le deuxième à sauver un enfant. Le troisième se veut légèrement plus complexe car il doit évoquer les règles du multivers mais l’intrigue en elle-même reste simple. Cette crise du récit est aussi caractérisée par le manque de liens de cause à effet, il faut accepter le fait que le film ne nous explique pas tout, dans ce troisième opus c’est par exemple la manière dont Wade arrive en 2018 dans l’univers 616. Les scénaristes convoquent en revanche plusieurs procédés pour nous mettre de la poudre aux yeux et rendre l’ensemble intéressant. Ces procédés ne font qu’enfoncer le clou de la post-modernité puisqu’il s’agit de méta-textualité, second degré ou encore quatrième mur brisé. Tout ceci était pratiqué par les réalisateurs de la modernité et même avant mais depuis les années 80 ces procédés sont devenus plus fréquents et utilisés dans des objectifs différents à savoir pour la grande majorité faire rire en jouant au plus malin. Dès les premières secondes du premier film, Deadpool est conscient d’être un personnage d’une œuvre, il s’adresse à la caméra et par extension au spectateur et se permet alors de raconter son histoire dans le désordre. Ici il va d’autant plus loin en prenant en main la caméra pour se prendre en selfie avec une victime. Ç’a été rafraîchissant en 2016 et il faut dire que cela reste sacrément efficace en 2024, ce Deadpool et Wolverine démarre de la même façon que l’opus initial avec une entrée en matière qui donne le ton et Ryan Reynolds multiplie les blagues sur le passage chez Disney, le reste de l’industrie, les exigences de Kevin Feige ou le recours au flashback. C’est donc tous ces éléments que le spectateur va sans doute plus retenir que le road trip bête et méchant au sein du Vortex et c’est ce qui a grandement participé au succès des films.
En plus de tout ceci, Deadpool est connu pour sa violence dans des scènes d’action stylisées, ce qui rentre absolument dans la catégorie du « cinéma feu d’artifice ». A défaut d’avoir un scénario riche et complexe, le film balance un déluge d’effets spéciaux pour assurer le grand spectacle aussi bien visuel que sonore. Le spectateur est là pour s’en prendre plein la vue et dans le paysage du MCU, la violence fait office de réelle plus-value. Le traitement de la violence dans le cinéma post-moderne est différent qu’à l’époque du Nouvel Hollywood par exemple durant laquelle la violence correspondait à une Amérique marquée par la guerre du Vietnam et libérée du code Hays. Aujourd’hui, nous sommes baignés dans des images très graphiques, les studios ont moins de mal à viser la classification R. Nous sommes donc moins choqués et ça va même plus loin, nous la trouvons jouissives et drôles. Depuis le début des années 80, la violence est devenue décomplexée voire esthétisée, elle devient presque une attraction. Un réalisateur comme Quentin Tarantino pratique beaucoup la violence gratuite et démesurée voire complètement immorale selon certains pour construire son univers et se donner un côté « cool » . De la même manière, la trilogie Deadpool n’a pas peur de montrer des membres découpés, des corps qui explosent ou des effusions de sang en veux-tu en voilà. Marvel Studios a bien compris que la violence graphique constituait une bonne partie de l’ADN du personnage et se lâche enfin, ce troisième volet fonde son spectacle sur les exécutions sanguinaires et il faut le dire : ça fait du bien.
Le dernier aspect inhérent au personnage et à la post-modernité à la fois est le florilège d’intertextualité qui se traduit par un festival de clins d’œil, d’easter egg et d’hommages. Associer Deadpool qui fait presque une référence à chaque réplique et le MCU qui se rabat désormais sur la nostalgie afin d’assurer un succès en salles ne pouvait qu’aboutir à ce scénario prétexte au fan-service bondé de citations et name-dropping. Les références apparaissent sous toutes les différentes formes possibles et imaginables et tout le monde pourra y trouver son bonheur. Elles vont de la mention de Furiosa, le personnage de Mad Max, aux caméos en passant par un Fantasticar parmi les véhicules des méchants ou un tacle envers l’univers cinématographique DC et le sort de Superman. Le film est vraiment généreux sur ce point, tout y passe. Il est l’incarnation parfaite du phénomène « recognize and enjoy » qui consiste à non seulement apprécier la référence en elle-même mais également le fait d’être en mesure de comprendre la référence. Le long-métrage demande en réalité un certain bagage pour saisir ne serait-ce que la moitié des clins d’œil. Le spectateur qui les comprend peut se sentir privilégié au milieu de ceux qui ne suivent pas avec attention le MCU et qui n’ont eu aucun contact avec des comics. Plus que privilégié, il se sent même récompensé d’être un fan de la première heure. C’est pourquoi le film est rempli de références plus obscures que d’autres, tout ce qui tourne autour de Gambit par exemple.
Jusqu’ici j’ai essayé de décortiquer ce qui a constitué le succès des deux films Deadpool et qui fera sans aucun doute celui de ce duo avec Wolverine. Les scénaristes, producteurs et réalisateurs ont admirablement compris leur époque et ont créé l’apothéose en quelque sorte de ce que peut être le cinéma post-moderne. Comme je l’ai dit cette forme de cinéma est controversée depuis des années et j’ai la sensation que plus le temps passe, plus la division entre ceux qui la trouvent insupportables et ceux qui l’adorent est conséquente. La réception de ce film ne va surprendre personne, les détracteurs vont détester, les fans vont apprécier. Cela reste une critique alors qu’en est-il de mon côté ? La réponse est simple, je suis client de toutes les remarques que j’ai pu faire.
Je suis fan de Marvel depuis ma plus tendre enfance pourtant j’ai découvert Deadpool avec son adaptation sur grand écran et je l’ai aussitôt adoré. Ryan Reynolds a trouvé un rôle qui lui colle à merveille et ce troisième volet ne fait que le confirmer, il arrive à être hilarant en transmettant différents sentiments même masqué à l’instar d’Andrew Garfield en Spider-Man. Je suis manifestement un grand adepte de l’humour du personnage et de l’interprétation du comédien puisque j’ai passé la plupart de la séance le sourire aux lèvres. Le duo avec Hugh Jackman était attendu et il ne déçoit pas, les deux acteurs ont une alchimie extraordinaire et chaque interaction fait mouche. Wade et Logan ont un parcours qui se répond tout le long du film, ils cherchent tous les deux à être de vrais héros tout en tranchant à tour de bras parce que ça reste Deadpool et Wolverine. Malgré l’humour omniprésent, certaines séquences savent se poser pour étudier les personnages et leur offrir des passages émouvants tout en faisant évoluer la relation entre les deux mutants passant de l’animosité à la coopération voire amitié. Grâce au retour des deux personnages et d’autres surprises, Marvel Studios livre un bel adieu à la Fox en donnant la chance à certains acteurs de redorer leur blason après des films jugés catastrophiques et à d’autres d’incarner enfin le personnage de leur rêve.
La réalisation n’est toujours pas très marquante mais Shawn Levy s’en sort mieux que Jon Watts. Chacun de ses personnages connaît son moment de gloire et certaines de ses scènes d’action sortent du lot. Il cadre parfois maladroitement et la lisibilité s’en voit diminuée mais il est capable de fournir des mouvements de caméra donnant un vrai dynamisme. Le climax et son long travelling latéral à la Old Boy couplé à la musique de Madonna est particulièrement grisant, il en est de même pour l’arme particulière utilisée par Deadpool durant l’introduction. Kevin Feige se réserve pour les Avengers et cela se sent mais à plusieurs moments, les deux séquences citées en font partie, le film respire la folie des comics. L’autre séquence allant dans ce sens est celle de la recherche de Wolverine qui s’illustre par un montage parallèle rudimentaire mais diablement efficace. Nous n’échappons malheureusement pas à des effets spéciaux qui empestent le numérique bien qu’ils ne soient pas laids comme peuvent l’être ceux du troisième Ant-Man, disons qu’ils sont imparfaits mais loin d’être difficiles à regarder. Ils sont allés tourner en décors réels pour le Vortex donc les fonds verts sont évités mais les décors paraissent vides, ce qui est dur à accepter même si c’est justifiable (l’action se déroule littéralement dans le néant). Il est en revanche dur de voir autre chose qu’une ruelle en studio lors du climax.
Au final, Deadpool et Wolverine se confronte à la même problématique que Spider-Man : No Way Home. Les deux films sont construits autour du fan-service ainsi que de l’hommage et ne cherchent rien d’autre. Les deux ont d’innombrables défauts d’écriture comme de mise en scène. Ils multiplient les facilités ou incohérences, les enjeux sont faibles (dans le cas de Deadpool les méchants assez peu convaincants y sont pour quelque chose) et la réalisation est au mieux passe-partout. Je repère les défauts, j’en ai conscience, je comprends que ce soit inadmissible pour certains mais vous savez quoi ? Je m’en fous. Rien n’y fait, je suis devant l’un comme devant l’autre en pleine extase à retrouver mon âme d’éternel fanboy. Vous allez me dire que je tombe dans le piège des majors mais je n’y peux rien, ma première séance de No Way Home est encore à ce jour ma meilleure séance de cinéma et mon enthousiasme n’est jamais retombé. Me déplacer en salle pour une séance de minuit afin de découvrir ce Deadpool et Wolverine qui me faisait rêver depuis l’annonce du retour de Hugh Jackman m’a mis dans un état d’excitation que je ne connais qu’avec Marvel. En bref, je suis un pigeon ennemi du cinéma qui finance l’absence de prise de risques mais deux choses pour vous rassurez mes cinéphiles sûrs : sachez que je ne note pas un film du MCU comme je note les autres films et pensez à la TSA qui va permettre de financer un lot de pépites françaises.