Death Note
4.8
Death Note

Film de Shûsuke Kaneko (2006)

Véritable déferlante multisupport, le concept Death Note se veut culte (mondialement, qui plus est), quel que soit le média envisagé, divisant les adeptes en deux catégories : pro-Light, pro-L... Prêts à s'entre-déchirer autour d'un concept de "justice" rarement aussi abruptement mis à mal.

Tout cela ne vous évoque rien ? Vous n'avez pas encore plongé au plus noir de cette oeuvre amorale, malsaine, tendue et tétanisante façon Edgar Allan Poe du XXIème siècle ? Séance de rattrapage immédiate pour tout le monde. Sortez vos cahiers de la mort, interro surprise !

Dans Death Note, en effet, il est question d'un mystérieux cahier aux pouvoirs effroyables, abandonné sur terre par un dieu de la mort curieux de voir comment les humains pourront s'en servir... Car une fois le cahier utilisé, il n'existe plus d'échappatoire possible : tous les noms qui y sont inscrits entraînent inévitablement la mort de leur propriétaire.

C'est le point de départ improbable d'un thriller fantastique à rallonge (hélas) où Light Yagami, lycéen surdoué, nihiliste et désoeuvré hérite du fameux "Death Note" et décide sans ambages de s'en servir pour châtier les criminels de tous les pays et créer un monde idéal... Quitte pour cela à sacrifier les innocents qui se dresseraient en travers de sa route.

Astucieux au point d'en devenir pervers, la force principale du propos tient à son originalité, ainsi qu'à son inventivité implacable en matière de retournement de situation tordus. Hélas, au-delà de l'idée première et de sa mise en oeuvre, le résultat déçoit par son manque d'ambition narrative, le concept n'étant exploité que de façon minimale là où il autorisait (imposait !) maints et maints développements sur maints autres plans. Ici, le scénariste mène son thriller, le dessinateur l'illustre, cela ne va pas au-delà. Dès lors, le lecteur est condamné à ne rester qu'en surface, dans le registre du rebondissement et de l’événementiel, servi par une mise en image efficace et réussie, mais par une mise en page particulièrement plate et sans saveur. De la même façon, les serial-retournements de situation flirtent tant avec l'excès qu'ils prennent souvent des allures grand-guignolesques de "Bip-Bip versus Vil Coyote" sous antidépresseurs.

Exit, donc, les possibles (si ce n'est nécessaires) digressions autour des concepts de justice, de légitimité, de fins et de moyens. Exit, les possibles (si ce n'est souhaitables) cas de conscience, les glissements psychotiques, les déchirements et les remises en cause. A de rares exceptions près, chaque pièce (plus que personnage) s'en tient à jouer son rôle d'élément scénaristique, elles n'ont ni profondeur, ni identité propre autre qu'archétypale, ce que compense partiellement l'intelligence, l'implacabilité et la qualité plastique de l'ensemble. C'est excellent, mais c'eut pu être encore bien au-delà.

S'en distinguant pour le meilleur ou pour le pire, deux films "live" de deux heures adaptent les premiers (et meilleurs) volumes de la série, centrant les évènements autour de l'affrontement jubilatoire opposant Light et son reflet inversé, le non moins surdoué (et quelque peu autiste) L., mystérieux enquêteur au pouvoir de déduction hors du commun. Avec, cerise sur le gâteau, un dénouement alternatif sur-mesure, écrit par l'auteur du manga lui-même.

Verdict ?

Légèrement en dessous de ce qu'on pouvait espérer, mais très au-dessus de ce à quoi on pouvait s'attendre.

Au-delà du choc culturel : deux excellentes surprises, en somme, et deux authentiques réussites.

Pas sur le plan technique, cependant. Peu inspiré par son sujet, le réalisateur filme tout ceci (à son tour) avec une absence totale d'implication personnelle ou de recherche artistique, à la manière d'un téléfilm (honnête, mais sans véritable saveur visuelle), avec de rares plans au frontière d'un kitsch qui, heureusement, se fait vite oublier. Anonyme sans être désagréable, la mise en scène est loin d'atteindre les points culminants de la série animée.

Contre toute attente, le jeu d'acteur est correct, un rien surjoué parfois, comme c'est souvent le cas dans des productions asiatiques qui ne parviennent que rarement à se débarrasser de l'ombre du théâtre Kabuki (désagréments qui disparaissent dès la première moitié du premier film). Au sujet des deux titans choisis pour ce choc d'élus, l'interprète de Light déroutera un peu les amateurs du manga par ses bonnes petites joues toutes rondes façon Hamtaro, là où celui de L., non content de reprendre les tics du manga, ajoute sa patte personnelle au personnage, ne lui en donnant que plus d'épaisseur, de charisme et de personnalité. Un vrai régal.

Régal symptomatique de la qualité première de ces deux films qui excellent moins dans l'adaptation proprement dite que dans la réécriture du mythe initial. Certains fans hurleront au scandale : seuls 50 e ces deux opus sont fidèles aux mangas, les 50 restant réinventant les situations avec un talent et une intelligence digne de (si ce n'est supérieurs à) l'original, dont ils corrigent même involontairement certains défauts majeurs. Plus humain, plus rationnel, plus crédible, mieux amené, il présente notamment un Light "positif" (sombrant petit à petit, plutôt que portant d'emblée l'estampille "psychopathe imbuvable"), ce qui permet même d'adhérer temporairement tant à ses actes qu'à ses choix. Que ferait-on soi-même avec un tel cahier ? Si le manga empêche de s'identifier au protagoniste, le film, lui, amène à se poser sérieusement la question. De la même façon, l'environnement est mieux exploité, les criminels ont aussi un visage, l'ensemble gagne en matière, en palpable, même si les images de synthèse ne s'intègrent pas toujours parfaitement au tableau.

En dépit d'un manque de rythme évident, de quelques effets datés et d'un contraste frappant entre l'absence d'intensité des scènes reprises (pour qui connaît le manga) et la tension palpable des scènes réécrites (les dénouements, tout particulièrement, sont exemplaires !), difficile de ne pas être fasciné par le face-à-face (qu'on aurait aimé entièrement réimaginé, pour le coup), et on se surprend à "vibrer" Death Note, malgré toute la réserve dont on s'est promis de faire preuve initialement.
Mention spéciale, d'ailleurs, à la musique d'un Kenji Kawai qu'on ne présente plus, prenant dans ses traditionnelles toiles synthé (tendance Patlabor 2) des lignes de guitare électrique bourdonnantes, lourdes et oppressantes tout juste ce qu'il faut.


Habile, prenant, déroutant, intense pour peu qu'on ne soit réfractaire ni au fond, ni à la forme, Death Note est (passé sa première heure de mise en place) de ces films qui, sur le coup, laissent une impression mitigée, mais hantent le spectateur longtemps encore après la dernière note des génériques (signés Red Hot Chili Peppers). Malgré la durée de l'ensemble, on ne s'ennuie pas une seconde et même, on en redemanderait presque, et on guette avidement la sortie prochaine du spin-off "L change the worLd", dont les critiques plutôt négatives ne sauraient décourager quiconque appréciera ce personnage atypique, tragique et fascinant.
Liehd
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le 27 janv. 2014

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Liehd

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