En voilà un documentaire important !
2021, année pré-présidentielle : à l'heure où les chantres du libéralisme essaient de se persuader que le monde qu'ils ont construit est le meilleur, à l'heure où le discours publique se droitise toujours plus, se consacrant tout entier à ses lubies migratoires, quelques trop rares personnes issus du terrain de jeu politique continuent de combattre pour ce qui est et devrait toujours être la base de toute réflexion politique : l'humain.
Parmi ces personnes, on trouve François Ruffin, l'un des très rares bonhommes qui laissent penser aux jeunes gauchistes comme moi que l'espoir est encore permis dans une Assemblée nationale certes rajeunie mais toujours sclérosée.
Loin de toute politique politicienne, le combat de Ruffin est un combat de terrain, de contact. Dans son film, il attachera mille fois plus de temps et de soin à filmer les gens, leurs revendications, leurs galères et surtout leurs sourires et leur résignation. Les processus législatifs eux, décevants, atterrants, ne seront filmés qu'en vitesse, en contrepoint. On y reviendra.
La force du film de Ruffin et Perret, c'est de n'être jamais misérabiliste. Eux deux et Bruno Bonnell vont à la rencontre des "vraies gens", leur laissent de la place devant la caméra et s'effacent. Et ce qui ressort de ces gens, réduits à une pauvreté dont tout le monde se contrefout, c'est surtout des sourires, des affirmations que leur travail les passionne. On sourit nous aussi, on se marre franchement parfois même. Ruffin et Bonnell se taquinent, les femmes sont heureuses de se trouver des alliés de cette qualité, et la lutte des classes remplit son rôle fédérateur.
Et puis parfois, on sent un tremblement dans la voix, une colère qui se cache sous un brin d'ironie désabusée, un aveu de fatigue. Pas besoin d'insister longuement dessus, d'autant que les sujets ont aussi leur pudeur, mais il n'en faut pas plus pour saisir toute l'injustice de leur situation.
700, 800, au mieux 1000 euros par mois pour vivre ! Avec des loyers à payer, des courses à faire, parfois des enfants à charge. Étudiant puis aujourd'hui en service civique, je vis dans les mêmes conditions que ces personnes ; sauf que je n'ai pas d'enfant à charge, que mes parents ont les moyens de me soutenir financièrement, et que je ne serais a priori pas amené à faire cela toute ma vie. Pour certaines, pas de portes de sortie. Et face à ces réalités, quels discours ? Des rejets catégoriques de projets de loi, des manipulations de communication en tentant de faire passer un projet réécrit pour le projet originel, et des textes kafkaïens qui expliquent que d'un point de vue légal, il est difficile de respecter la loi.
On se marre devant ce film, et beaucoup, et on est en colère aussi, encore plus. On est en colère par empathie pour les empathiques, par tendresse pour les tendres. Pour ces deux bonhommes mal assortis (Ruffin et Perret réussissent même à rendre sympathique un marcheur convaincu !) qui trimballent leurs projets de loi en se balançant des piques affectueuses ; mais surtout pour ces femmes qui consacrent leur vie aux autres en demandant si peu en retour. Ces femmes qui ont tellement peu que certaines ont même peur d'oser demander plus, par crainte de n'avoir plus rien.
La dernière séquence, pur instant de mise en scène assumé, s'introduit comme un joyeux délire désabusé : une Assemblée nationale revisitée. Condensé du film, on y passera rapidement du rire aux larmes, de l'euphorie à la colère. Nos joyeuses travailleuses, amusées et enthousiastes à l'idée de se mettre en scène, et heureuses qu'on leur donne la parole la prennent. Et voilà qu'une voix tremble, expliquant qu'elle doit vendre sa maison ; qu'une autre explique qu'aucun plan d'avenir ne lui est permis par son budget, pas de vie de famille, aucune idée de comment gérer sa maladie... Putain, la colère revient, et on en pleurerait. D'ailleurs moi j'en pleure.
Debout les femmes, c'est un film plus grand qu'il ne le pense. C'est un film qui cherche à parler des conditions de vie d'une certaine classe sociale, c'est un film de lutte, un document à charge.
Mais c'est aussi un manifeste politique : c'est la démonstration incontestable que le champ de la politique n'est pas et ne devrait jamais être une Assemblée remplie de cadres sups déconnectés en costard ; mais que le champ de la politique se passe partout et tout le temps, que le champ de la politique il est chez ceux qui se battent tous les jours de leur vie, il est dans les hôpitaux, chez les retraité(e)s, les pauvres, les petits bras, les hôpitaux, les couloirs, les stations d'essence.
Que le champ de la politique n'est pas sur quelques bancs lustrés mais dans les mains qui les ont nettoyés. Qu'il n'est pas dans des textes froids et dans des beaux discours, mais dans l'humain et dans ses émotions.
Qu'il est dans la tendresse qu'on a pour les tendres, dans l'empathie qu'on a pour les empathiques. Et parce qu'on a de l'empathie, on continuera la lutte.
De mon côte, je crois que pendant les semaines à venir j'aurais encore plus d'amour pour ces gens qui mènent leurs combats pour le collectif ou pour survivre ; et toujours plus de mépris pour tous les chantres du libéralisme, persuadés que leur modèle n'est pas le problème.