Tess fait partie de ces rares films qui auront réussi à me laisser un goût amer en bouche. Ces quelques films dont on sait où ils vont sans en avoir lu l'histoire, où l'on passe une partie du film à redouter d'avoir vu juste ; et une autre partie à regretter qu'on aie vu juste.
Comme Insiang, comme Kids, mon visionnage de Tess m'aura laissé assez malheureux, traitant d'un sujet qui m'a toujours secoué : le viol, et comment il détruit des vies. Pourquoi un tel sujet touche tant alors qu'on voit régulièrement des films qui usent de violence, qui tuent, qui torturent ; et tout ça parfois sans réussir à me faire hausser un sourcil ? Probablement parce que contrairement à ces histoires de meurtres, de tortures, etc ; on ne peut mettre aussi facilement de la distance avec ce sujet. Un monstre de film d'horreur ; un psychopathe de policier, ne pourra faire peur que le temps du film et guère plus, ils n'ont jamais existé, ou alors ont existé mais loin de moi, loin de nous, et de manière exceptionnelle.
Mais les antagonistes qu'on trouve dans ce genre de récit, lorsqu'ils sont bien écrits, eh bien eux on les rencontre partout, tout le temps, sans même le savoir. Ces sales petits cons de Kids, on les a fréquenté. Ces caïds et ces lâches d'Insiang, on en croise tous les jours. Et ces hommes imbus d'eux-mêmes qui s'octroient le droit de tout dans Tess, ils existent aussi, et encore aujourd'hui. Tess dépeint une autre époque, mais son thème est hélas encore intemporel.
Evidemment, pour produire un tel impact, le film se doit d'être bien écrit ; et à ce niveau, Tess n'a vraiment pas à rougir. Ses personnages existent, tant par leur écriture que par leur incarnation ; et Natassja Kinski tout particulièrement est magistrale en Tess d'Urberville, adolescente qui a commis le péché terrible d'être belle ; une beauté calme, fermée, qui ne s'ouvrira qu'au contact d'Angel dont la trahison ne semblera que plus terrible. Peter Firth incarne d'ailleurs ce dernier avec une douce retenue admirable, et l'on ne pourra jamais lui accorder réellement notre empathie, car on a compris où le film allait. Ses choix - pourtant compréhensibles dans le contexte de l'époque - nous le rendront vite antipathiques, presque autant que le répugnant cousin Alec, tant ils sont lâches, égoïstes, et achèvent une Tess qui peine à se reconstruire. Et si l'on a cité les trois personnages principaux, il faut aussi mentionner les rôles qui achèveront de décourager notre humanité, ce prêtre dont le sens du paraître se révèle plus important que celui de l'empathie ; ces parents qui prostituent plus ou moins consciemment leur fille.
La mise en scène n'a évidemment pas à rougir non plus et on se doit de saluer le sublime traitement de la photographie, éthérée, lumineuse, aussi claire et pure que l'est Tess ; et qui contraste avec le caractère éminemment obscur de notre récit. Photographie d'autant plus remarquable que son directeur Geoffrey Unsworth est décédé en plein tournage et a dû être remplacé au pied levé par Ghislain Cloquet, heureusement loin d'être un débutant ; qui a réussi à conserver un tout cohérent.
Dernière mention enfin à l'affiche, brillament réalisée par le génial René Ferracci qui en une simple image extraite du film retranscrit l'ambiance lumineuse du film et la beauté sévère de Tess qui tente de refuser une fraise couleur rouge passion qu'on cherche à lui mettre dans la bouche.
Mais si Tess met mal à l'aise, ce n'est pas qu'à cause de son sujet et de sa mise en scène ; c'est également à cause de son réalisateur. Difficile aujourd'hui de regarder un film de Polanski sans avoir en tête tous les débats dont il est l'objet.
Et en regardant Tess, une question vient forcément à l'esprit : comment quelqu'un capable de raconter de telles histoires peut-il être capable de la violence qu'il dénonce avec tant de brio ? Polanski a écrit de nombreux personnages féminins brillants, que peu de ses confrères masculins ont été capables d'écrire. Ses femmes sont réalistes, et se battent toujours contre une société masculine qui les détruit à petit feu. Il ne fait aucun doute au visionnage de ses films que Polanski s'attache dans sa filmographie à décrire les difficultés que rencontrent les femmes ; et notamment les violences dont elles sont victimes de la part des hommes, violences qui sont montrées comme destructrices, qui ruinent littéralement des vies.
C'est là en sous texte l'un des thèmes de Répulsion, où Deneuve vit dans la peur constante d'être agressée par un homme et où un viol probablement fantasmé - mais peut-être l'écho d'un vécu refoulé - achèvera sa fragile raison.
C'est là en sous-texte aussi l'un des thèmes de Rosemary's Baby, qui raconte rien moins que l'histoire d'une femme dont la vie tourne au cauchemar après que son mari lui aie fait subir un viol affreux.
C'est là enfin, toujours en sous-texte un thème de Chinatown
où la révélation centrale de l'intrigue réside dans ce qu'a fait subir le père de Faye Dunaway à cette dernière, sévices qui la poursuivent encore aujourd'hui et dont elle n'aura jamais l'occasion de guérir.
Mais Tess est le seul - à ma connaissance - à aborder ce sujet de manière aussi frontale. Chacune ou presque de nos héroïnes connaîtra une fin tragique, détruite par ces hommes dont elles ont eu le malheur de croiser la route...
Bref, imaginer que celui qui a écrit de telles histoires est capable du même genre de choses que les pires de ses antagonistes fait d'autant plus froid dans le dos. Et ce paradoxe, c'est quelque chose que je ne parviendrais probablement jamais à comprendre.
Quoi qu'il en soit, Tess est un immense film.
NB : je n'ai pas lu le roman de Hardy. J'ai cru comprendre que l'adaptation y était énormément fidèle ; et mon analyse peut manquer de pertinence car elle ne se penche que sur le film.