Joli film qui reste toutefois une petite déception à mes yeux, tant j'avais apprécié en comparaison "Manèges", également signé Yves Allégret, sorti deux ans plus tard et rassemblant la majeure partie des comédiens présents sur "Dédée d'Anvers".
A vrai dire, même une oeuvre beaucoup plus légère et moins cotée d'Allégret, réalisée dans la seconde partie de sa carrière ("Quand la femme s'en mêle"), m'avait laissé une belle impression.
Avec "Dédée d'Anvers" j'ai retrouvé les pesanteurs du cinéma français des années 40, encore tout imprégné de réalisme poétique, et du poids de la fatalité qui vous laisse deviner la fin du film dès les premières scènes.
Alors ce cinéma qui s'intéresse enfin aux humbles et aux classes laborieuses ne manque pas de qualités, et cette époque a accouché de très bons films ("Hôtel du Nord", "Sous le ciel de Paris"...), mais hier je ne devais pas être dans l'état d'esprit ad hoc, de sorte que certains aspects m'ont laissé froid, voire agacé.
Ainsi, je n'ai pas été forcément convaincu par la grande histoire d'amour vécue par la jeune Dédée (Simone Signoret, pourtant excellente en tapineuse au grand coeur), en raison notamment du choix de l'italien Marcello Pagliero, pas franchement un apollon, et surtout en délicatesse avec la langue française, de sorte qu'on comprend très mal les mots d'amour qu'il baragouine à sa belle.
D'autre part, le méchant de l'histoire (Marcel Dalio) se révèle très caricatural, totalement irrécupérable, selon les codes de l'époque, empreints de manichéisme.
Heureusement, les personnages incarnés par Bernard Blier et Simone Signoret bénéficient d'un traitement plus nuancé. On s'amusera également de découvrir l'inénarrable Jane Marken dans un rôle positif pour une fois, elle qui joua souvent des matrones ou des garces vénales.
Par ailleurs, la grande qualité du film d'Allégret réside dans son atmosphère très réussie, avec des décors remarquables signés Maurice Colasson et Georges Wakhéwitch, qui parviennent à reconstituer en studios les quais brumeux du port d'Anvers, ses petits bars à matelots et ses cargos amarrés le temps d'une escale.
Personne n'a mis les pieds en Belgique au cours du tournage, et pourtant l'illusion est parfaite.
Entre film noir et tragédie amoureuse, "Dédée d'Anvers" séduit donc grâce à cette ambiance triste et mélancolique, et grâce à la prestation remarquée de Simone Signoret, véritable révélation du film pour son premier grand rôle au cinéma, face à la caméra de son mari à l'époque.