Plonger dans le grand bain : l'éveil des sens

Que disait le cinéma du petit monde de l’adolescence au début des années 1970 ? Si, de nos jours, on a tendance à brasser le sujet de nos jeunes pousses ingrates un peu dans tous les sens sur grand écran, ce ne fut pas toujours le cas par le passé. En ce sens, tomber sur le Deep End de Jerzy Skolimowski, dont je ne connaissais que les deux derniers films tournés 40 ans plus tard, a suscité une vive curiosité pour moi, fervent amateur du teen-movie intimiste et poétique à la Gus Van Sant. Succès international immédiat lors de sa sortie, ce petit film culte marque par sa désinvolture et son esprit libéré. L’occasion de se rendre compte que l’adolescent des années 1970 n’entretient pas tant de différences avec celui d’aujourd’hui. En effet, c’est à seulement 15 ans que le personnage de Mike, gamin tout juste sorti de l’école, va faire le saut dans le grand bain. Ce film, c’est un peu le récit initiatique de l’éveil sexuel de l’adolescence. Un pari sacrément osé pour l’époque mais mis en scène avec beaucoup de classe, des couleurs pop et chatoyantes et une jolie bande originale. Ce film dégage un charme apaisant au contact de la candeur de ce jeune adolescent propulsé dans ces bains londoniens où règne un climat charnel d’impudeur et de corps dévêtus. Un contraste, une frontière qui va se lever progressivement au fur et à mesure que son attirance pour sa collègue de travail, interprétée à l’écran par l’incandescente Jane Asher, va grandir. Fasciné, happé par sa beauté, il va alors prendre le chemin dangereux qui devrait le mener près d’elle. Mais pas à n’importe quel prix et c’est en suivant ses errances urbaines et ses rencontres nocturnes que l’on va assister à l’éveil sexuel d’un adolescent torturé entre romantisme et érotisme. Sur plusieurs aspects, Deep End me rappelle le best-seller et unique roman de J.D. Salinger, L’Attrape-Cœurs. Par son personnage solitaire face au monde adulte, sa confrontation à la prostitution. Doucement mais intensément, Mike part à la dérive, à la rencontre du frisson amoureux, de la pulsion sexuelle. Le réalisateur oppose ici l’insouciance d’un adolescent tourmenté face à ce qu’il découvre aux interdits de la vie londonienne. C’est l’obsession amoureuse qui fait tourner la mécanique de l’œuvre, parcourue par une pulsion de plus en plus intense qui donnera naissance à une scène finale aérienne et inoubliable, aussi belle que dramatique, aussi romantique qu’érotique, aussi pétillante que morbide. Skolimowski retranscrit ici la passion amoureuse jusque dans l’excès. Mike s’est jeté dans le grand bain, dans cette eau translucide en laquelle s’écoule ce sang orangé, comme si les cheveux de Susan perdaient leur couleur en même temps qu’elle perd la vie. Avec son titre métaphorique et chargé de sens, le film surprend mais ne manque pas de nous envoûter par son esthétique soignée, ses personnages atypiques et son atmosphère libérée. Un petit bijou du cinéma de l’adolescence, parfait pionnier du cinéma Van Santien des années 2000.
Vino
7
Écrit par

Créée

le 3 mai 2014

Critique lue 422 fois

2 j'aime

Vino

Écrit par

Critique lue 422 fois

2

D'autres avis sur Deep End

Deep End
Chaiev
7

L'homme de l'onde

Skolimowski fait partie de ces réalisateurs étonnants qui changent de style à chaque films, et parviennent néanmoins à rester fidèle à leur vision du monde. Avec Deep end, Jerzy, une nouvelle fois,...

le 14 juil. 2011

74 j'aime

47

Deep End
Sergent_Pepper
8

ô toi que j'eusse aimé, ô toi qui le savais...

Lors de sa première visite de la piscine décatie où il va travailler, alors qu’il vient d’abandonner l’école à 15 ans, Mike tombe tout habillé dans le bassin. Ce baptême incongru, inattendu, est à...

le 22 janv. 2014

72 j'aime

11

Deep End
Torpenn
7

Les amoureux qui se bécotent sur le bain public, bain public...

Mike a quinze ans, il se fait embaucher pour tenir les vestiaires dans un bain public, à Londres, et se retrouve avec la charmante, froide et pornographique Susan comme collègue de travail. Premiers...

le 27 oct. 2011

44 j'aime

11

Du même critique

Pontypool
Vino
4

L'éloquence du zombie, un pari manqué pour le septième art...

Les zombies débarquent au Canada avec ce Pontypool. Sous-genre du cinéma d’horreur, le film de zombies a développé sa popularité avec quelques grands cinéastes et films qui sont aujourd’hui...

Par

le 2 mai 2014

5 j'aime

Bully
Vino
4

Dans la vie, y'a deux types de gens : ceux qui savent compter... et les ados de Larry Clark

Comme bien d’autres cinéastes, Larry Clark est un de ces artistes qui traite souvent d’un seul et même thème avec des sujets plus ou moins différents. Les connexions entre ses films sont évidentes et...

Par

le 3 mai 2014

5 j'aime

Paris, Texas
Vino
10

And when the lights went down, I fell in love... To eternity.

Paris, Texas… Comment parler de ce film ? Comment lui associer des mots capables de lui rendre ce qu’il a pu m’apporter ? Difficile. Paris, Texas est un miracle, un miracle du cinéma. Je n’ai pas...

Par

le 2 mai 2014

4 j'aime