Celui qui a déjà vu des films d'Ozu ne sera pas surpris des thèmes de son avant-dernier film. Une nouvelle fois la famille est le sujet principal, indissociable de la thématique du temps qui passe. Une nouvelle fois Ozu nous parle des rapports entre un père veuf et sa fille, de mariages en projet qui se heurtent aux hésitations des femmes, des changements dans la société acceptés avec le sourire et de séparations inévitables entre parents et enfants.
Les rituels du style répondent aux rituels des situations. La caméra est penchée en légère contre-plongée avec le même angle au degré près, et à la même distance des sujets, les décors sont des quadrillages géométriques dont les bruns de l'arrière-plan respectent avec précision les codes couleurs habituels du nuancier. Le plus difficile pour Ozu est probablement de casser la monotonie sans sacrifier l'équilibre qu'il a réussi à atteindre au long de sa filmographie et pour le spectateur le plus dur est de trouver des nuances au sein du déjà vu.
Mais grâce à l'expert en « ozulogie » Pascal-Alex Vincent je peux apporter quelques précisions sur les modifications apportées ici, presque invisibles mais qui ont exigé des remises en question pour le metteur en scène.
_Si Ozu a tourné la plus grande partie de ses films en N et B et accueilli l'arrivée de la couleur avec parcimonie, il préférait en fait la couleur rouge qui était pour lui la couleur de la vie. Donc les fleurs des jardins en arrière-plan sont rouges. C'est pour la même raison que l'on remarque des publicités pour Coca-Cola en arrière-plan.
_ La production exceptionnellement n'est pas de la firme Shochiku comme pour tous ses autres films mais des studios Tōhō, ceux qui ont fait Godzilla et plusieurs films de Kurosawa. Ozu a donc dû à son grand regret se séparer de son équipe technique habituelle et faire adopter son style par une nouvelle équipe, sans que le film ne s'en ressente.
_ Au lieu d'être tourné à Tokyo comme les autres, le film a été tourné dans les studios de Kyoto. La raison principale en était la présence à Kyoto d'une brasserie de saké qu'il appréciait particulièrement. C'était si important pour lui que le personnage principal du film, le père, est le patron d'une brasserie de saké.
_ Le film en apparence léger et par moments humoristique a été tourné juste après les derniers jours de la mère d’Ozu. L'histoire du père dans le film reprend les circonstances du départ de la mère dans la réalité, entre maladie soudaine, rétablissement inespéré et décès brutal.
Comme toujours chez Ozu le casting est toujours de grande qualité. L'interprète du père de famille facétieux qui s'enfuit de sa famille pour rejoindre sa maîtresse est Ganjirō Nakamura, officiellement désigné Trésor national vivant du Japon en 1967. C'est toujours un gage de qualité de retrouver la souriante Setsuko Hara, fidèle à Ozu même après son décès. Elle interprète la belle-fille que l'on veut une nouvelle fois marier contre son gré, probablement son karma d'actrice. On retrouve dans le rôle du petit-fils Masahiko Shimazu dont le rôle le plus connu reste celui du petit Isamu, le petit garçon joufflu vu dans le film Bonjour. Autre interprète remarquable Haruko Sugimura, qui après avoir interprété une mégère médisante dans Bonjour continue sur sa lancée en ne cessant de critiquer le défunt pendant le repas des funérailles, de manière si acerbe que l'on ne peut s'empêcher de sourire.
Il y a un ton de comédie tout au long de Dernier Caprice. Ce ton inhabituel chez Ozu n'est qu'un masque poli pour cacher une tragédie personnelle dont Ozu ne se remettra jamais vraiment.