Arrivant en fin du coffret "5 films en couleurs", je peux maintenant me permettre de vous faire part de deux ou trois choses que je sais maintenant d'Ozu, marques de fabriques intangibles et rituelles qui expliquent ma nouvelle et énorme affection pour le bonhomme.
Le plan fixe.
Au début, on se dit que le réalisateur nippon devait en tenir un mastard, de baobab, dans le creux de la main. (...Ou alors un manque cruel de roulette).
L'absence absolue de mouvement de caméra est rapidement fascinant. On se prend à guetter chaque changement de plan (dans les dialogues, dans les déplacements dans une maison) pour essayer de deviner comment il va procéder pour assurer la continuité de sa scène.
De fait, cette contrainte stylistique est tout sauf une facilité, et les acteurs capables de se souvenir de ce qu'Ozu leur demandait, en terme de mise en place (face caméra, position des mains, des yeux, etc…) , parlaient facilement de torture psychologique.
L'art du cadrage du metteur en scène est une illustration de la rigueur propre au Haiku (j'imagine, non ?) mais au service du plaisir et de la légèreté.
Il y a aussi une petite jubilation personnelle à se rendre compte de la construction de certaines scènes, qui bénéficient d'une intro et une conclusion, le même plan revenant pour ponctuer, encadrer le moment. C'est doux et délicat comme un nuage rose sur me mont Fuji.
(je ne deviendrai pas cinasiatophile, moi ?)
La grosse picole.
J'adore par dessus tout ces quadra-quinqua qui passent toute l'histoire (prenez n'importe quel film du coffret) à se détruire la carafon avec tout ce qui leur passe sous la main tout en gardant dans la majorité des cas un air digne et raisonnable, simplement trahis par une série de sourires chaleureux et complices. Saké, Whisky, bière sont en tête des hit-parades des affections Ozuesques, mais on sent bien, au détour de telle ou telle scène, que tout ce qui fait 5° et plus (surtout plus) peut être amené à être ingéré par nos joyeux drilles.
La confrontation tradition / modernité.
C'est autant visuel que scénaristique. Chaque plan, chaque situation, nous parle de ce Japon écartelé entre ce qu'il était depuis un nombre immémorial de siècle et ce qu'il est train de devenir à un rythme industriel et culturel en ce tout début des années 60. Mais le vieux monsieur (je parle bien sûr de Yasujirô Ozu) étant fin et espiègle, la confrontation ne vient jamais de là ou l'attend. Ça va être la fille qui se montre plus inflexible que jamais quand le grand-père part en goguette pour retrouver une jeunesse perdue, ou ce père de famille employé modèle qui ne se montre jamais aussi ouvert que quand ce n'est pas un membre de sa famille direct qui est concerné.
Ozu, c'est enfin et surtout (attention, je vais me faire plein de copains, là) une sorte de Tati dont la répétition n'est jamais lourdeur. Dont la poésie n'est pas soulignée avec des flashs clignotants. Dont chaque plan, à l'instar d'un Ford ou d'un Kurozawa, dégouline d'un amour infini envers ses personnages, personnages qui ne sont jamais parfaitement bons ou totalement haïssables.
Entrer de manière aussi directe dans un univers aussi codé que l'est celui d'Ozu, alors même que je ne me sentais il y si peu de temps en carence émotive vis à vis du cinéma asiatique, ne s'explique pas. C'est comme les rencontres dans la (vraie ?) vie. Le courant passe, ou pas.
Là, c'est du 10000 volts.