Korean rapsodie
En 2013, lorsque Bong Joon-Ho et Park Chan-Wook avaient traversé le Pacifique pour rejoindre l'usine à mauvais rêve Hollywoodienne, on craignit alors un occidentalisation décevante des meilleurs...
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le 29 août 2016
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Le genre du film d’infecté (et plus généralement celui de zombie) est devenu particulièrement populaire ces dernières années. Faisant suite à son renouveau dans la première moitié des années 2000 avec ‘’28 Days Later’’ de Danny Boyle, ‘’Shaun of the Dead’’ d’Edgar Wright et ‘’Land of the Dead’’ du regretté George A. Romero, père du zombie contemporain. Depuis, il y a eu un peu tout et n’importe quoi sur le sujet. Surtout n’importe quoi.
Aujourd’hui à bout de souffle, comme le démontre le magistrale ‘’The Dead don’t Die’’ de Jim Jarmusch en 2019, pointant avec allégresse les limites d’un genre tellement exploité que ses codifications en sont devenu si rigides qu’elles ne font plus que se répéter inlassablement de films en films. La purge ‘’World War Z’’ est en ce sens un parfait exemple. Comme de série en série. Depuis longtemps ‘’The Walking Dead’’ n’est plus que l’ombre d’un genre tombé en désuétude.
Puis, en 2016, totalement inattendu et en provenance direct de la péninsule du Matin Calme débarque une œuvre rafraîchissante. ‘’Busanhaeng’’, qui pourrait être littéralement traduit ‘’Vers Busan’’, un film d’infectés incroyable, et purée qu’il fait un bien fou. Yeon Sang-ho y dépoussière brutalement le genre, et rejoint ainsi les illustre ‘’28 Days Later’’ et ‘’28 Weeks Later’’ de Juan-Carlos Fresnadillo. C’est rythmé, novateur, riche et diablement généreux dans tout ce qu’il entreprend : l’horreur, l’action, l’émotion, le rire… Bref, ‘’Busanhaeng’’ ça déchire !
L'histoire est des plus simples et permet au cinéaste de développer des éléments qui jonchent déjà son cinéma. Comme Sok-woo, un workaholic divorcé, en rupture avec sa jeune fille qu’il néglige. Soit l’un de ces archétypes que Yeon Hang-ho développe depuis ‘’The King of Pigs’’. Ce n’est autre que l’un de ces cols blancs obnubilés par la réussite. Un type générique semblable à n’importe quel bureaucrate carnassier, portant son costard-cravate d’uniforme, ayant bradé son humanité pour occuper un rôle majeur dans ce cirque qu’est le grand Capital.
Il occupe un bureau qui ressemble à tous les autres, il est hautain et arrogant envers ses subordonnés, il se nourri de Burger King, conduit une berline et témoigne d’une froideur à faire pâlir. Bref, Sok-woo est une personne lambda et détestable, qui par fierté souhaite obtenir la garde permanent de sa fille, Soo-an, dont il ne s’occupe pas, puisqu’il laisse cette tâche à sa mère. Ce qui l’engage dans un combat avec son ex-femme, alors que la pauvre Soo-an ne rêve que d’une chose : aller vivre avec sa maman à Busan.
Pour l’anniversaire de Soo-an, Sok-woo accepte de l’accompagner jusqu’à Busan, en train. Manque de chance, entre temps un accident industriel propage dans le pays une maladie qui transforme les gens en cannibales. Et bien entendu la morsure d’une personne infectée suffit à se faire transformer en monstre assoiffé de sang. Le train dans lequel se trouve Soon-an et Sok-woo est rapidement le théâtre d’une horreur absolue, à mesure que les infectés se rependant dans les wagons.
Comme bien souvent dans le cinéma de Yeon Sang-ho, l’intérêt se situe rapidement au-delà d’une trame principale qui ne sert que de prétexte. Si cette fois elle est spectaculaire, par le choix du genre utilisé, que les infectés sont absolument terrifiant, donnant lieu à des scènes totalement démentes, ce que suscite le cinéaste est une fine analyse cosmopolite de la société coréenne cosmopolite En effet, dans ce train se retrouve toutes les catégories sociales qui forment un monde.
Du SDF à l’homme d’affaire, de l’enfant à ados, de la personne âgée au gros connard, du courageux au mouton, il se tisse une toile sociétale avec laquelle s’amuse un cinéaste qui plonge tous ces protagonistes, sorti d’une chronique du quotidien, dans l’atrocité la plus pure. Face à l’inconcevable et l’indicible. Plus qu'un film d'Horreur, plus qu'un film d'Action, ‘’Busanhaeng’’ est une étude de mœurs minutieuse. Entre deux ou trois pauvres hères qui se font déguster la carotide, le tout dans une bonne humeur assumée.
Des plus fun, complétement jouissif, il manque de superlatifs pour faire le tour de ce délire cinéphilique, qui ravit les initiés et ne peut qu'enthousiasmer les néophytes. Cette œuvre est la preuve qu’il est possible de faire un film d’infectés à grand spectacle accessible à tous. Si les effusions de sang sont nombreuses, le métrage ne bascule à aucun moment dans le gore grossier. La retenue est de mise, ce n'est jamais gratuit et la violence est utilisée à propos. De nombreuses scènes en hors-champs permettent d’ailleurs de conserver la pudeur de certains moments forts.
La mise en scène spectaculaire (c’est un premier film live…) sert à magnifier d’impressionnantes séquences, à l’instar d’un final incroyablement épique, mais aussi à éviter les écueils inhérents au genre. Sa sobriété empêche les clichés et gimmick habituels, utilisés ici avec intelligence, permettant au métrage de s'ancrer dans une dynamique efficace des plus agréables. Pas de doute, Yeon connait ses classiques, et évite les conventions faciles.
C’est en cela que ‘’Busanhaeng’’ ne ressemble à aucune autre œuvre sur le sujet. Alors qu’aujourd'hui la production totalement sclérosée se contentent majoritairement, avec fainéantise, à reproduire mécaniquement ce qui rencontre le succès. Il faut donc remercier ce film venu de Corée du Sud, qui tout en restant scrupuleusement dans les clous parvient à proposer un renouveau original, brillant, efficace, et admirablement plaisant.
Cinéma coréen oblige, c'est là l’une de ses marques de fabrique, le métrage évolue dans un mélange des genres salvateur. Film d'Horreur, on l’a dit, film d'Action, on l’a dit aussi, c’est avant tout un drame, familiale, entre un père et sa fille, sur ce quoi se greffe la comédie. Yeon en profite alors pour développer ses diverses thématiques comme la corruption, la lutte des classes, et plus particulièrement le rapport père/fille, particulièrement présent au cœur de sa filmographie depuis ‘’The Fake’’.
À plus d’une reprise le scénario aborde les airs d’une satire sociale, par sa galerie de personnage variée, et parfaitement développés. Déjà dans ‘’Seoulyeok’’ il proposait des protagonistes venant d’horizons différents, bien que tous issu de classes sociales modestes. Ici, la honteuse citation à destination des gare, où se croisent ‘’ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien’’, prend une pertinence tout autre. À commencer par le SDF, qui se réfugie dans le train pour échapper aux infectés, perçu avant tout comme un clandestin.
À ce personnage s’ajoute un homme générique, pour ne pas dire ‘’une saloperie’’, d’une cinquantaine d’année qui affiche sa réussite sociale par son arrogance. Il est une version plus âgé de Sok-woo, et agit ainsi en miroir du personnage principal. Qui est lui amené à se remettre en question et à évoluer. Quand le vieux paria est lui complétement perdu.
Toutefois, il parvient par sa brutalité à avoir une ascendance psychologique sur la plupart des passagers, et même sur le personnel. Il impose ainsi ses vues, qui mettent en réalité tout le monde en danger. Vêtu d’un costard-cravate, cette uniforme lui permet de se faire respecter par quiconque. Par la force de la tenue soignée, qui témoigne de la personne sûre qu’il doit être. Après tout, qui irait écouter un sans-abris apeuré qui se cache dans les toilettes ?
Entre ces deux extrêmes Yeon propose alors un prisme particulièrement riche de la population. Que je ne détaillerais pas ici, par manque de temps, mais qui permet de faire du train un véritable microcosme de la société. Pas seulement celle de la Corée, mais à toutes celles que le système capitaliste ronge lentement, mais sûrement. Parmi les prisonniers du train, les inégalités se révèlent avec brusqualité, deviennent le moteur des différents comportements. Quant à la fraternité, l’entraide et l’altruisme, ce sont là des privilèges que seuls les faibles peuvent s’autoriser.
Pour faire simple, ‘’ceux qui réussissent’’ sont ceux qui ont perdu toute once d’humanité et ne pensent plus qu’à leur gueule. Quitte à mettre en danger, voir à écraser, leurs contemporains pour survivre à tout prix. Alors que ‘’ceux qui ne sont rien’’, ce sont tous ceux qui essayent de s’en tirer par l’entraide, allant même jusqu’au sacrifice quand c’est nécessaire, st si ça permet de sauver un grand nombre, menacé par l’avidité vitale des égoïstes.
Par cette lecture, qui est la même pour les trois précédents films d’animation de Yeon, ‘’Busanhaeng’’ est à voir comme une œuvre populaire et aboutie, comme la résultante absolue d’un cinéaste génial, qui parvient ici à aller à la perfection ses obsessions intimistes au cinéma à grand spectacle. C’est une réussite de bout en bout, traduisant une réflexion d’une grande sagesse qui nous en apprend plus sur ce monde dans lequel on vit. Sans tomber dans la leçon de moral, et c’est là tout son génie, en utilise simplement des conventions pourtant éprouvées.
Le vieux creuvard qui plante tout le monde pour s’assurer la survie, n’est autre que le père dans ‘’The Night of the Living Dead’’ en 1968. Correspondant en tout point à une convention bien précise et inhérente au genre. Yeon l’utilise ainsi avec perfection, polarisant sur lui tout ce que l’humanité peut avoir de plus dégueulasse. De plus, par son égoïsme démesuré il provoque, lui et lui seul, des situations qui tout au long du métrage deviennent sources de drames. Car le film parvient également à se faire émouvant.
Il n’est pas rare qu’au court du récit les plus sensibles versent leur petite larme. Dans une démarche jusqu’au-boutiste, dans la continuité de l’ensemble, c’est à dire sans concession, plus d’une séquence joue une partition émouvante étonnamment réussie. Je tâche de ne pas trop en dire sur ce point, pour ne pas gâcher la surprise, mais plus d’un fois des séquences particulièrement dures, mise en scène avec une grande pudeur, achèvent de faire de ‘’Busanhaeng’’ une œuvre magistrale, des plus complète.
La richesse inouïe du récit passe son temps à nous balader, nous public, dans un ascenseur émotionnel qui ressemble plus à un grand huit qu’à autre chose. Par la convocation d’une puissance évocatrice rare, s’élève du métrage une portée émotionnelle d’une impressionnante intensité. Renforcée par le fait que l’on passe du rire au frisson et de l’horreur aux larmes par le biais de courts interstices. Quand le scénario laisse le temps de respirer, ce qui n’est pas toujours le cas, car les mésaventures des survivant sont particulièrement rythmées.
‘’Busanhaeng’’ est une œuvre virtuose, on ne le répétera jamais assez, incontestablement l’une des plus grandes réussites cinématographiques des années 2010, qui ne peut qu’impressionner et emporter l'adhésion. Au moment où Hollywood traverse une période de plomb et peine à se renouveler, le Cinéma coréen se présente comme une alternative fiable, fourmillant d’œuvres grandioses, comme ce pamphlet incisif, déguisé par Yeon Sang-ho en divertissement.
Rejoignant avec brio la longue tradition du film d’Horreur engagé, initié il y a plus de 50 ans par George A. Romero avec La Nuit de Morts Vivants (1968), Yeon assume à 100% la décomplexions de sa démarche, pour un rendu totalement dément, et même parfois incroyable. Une œuvre des plus positive, qui vient nous rappeler pourquoi le Cinéma c’est génial. Et de temps en temps une pîqure de rappel ça fait du bien l
-Stork._
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le 14 mai 2020
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Quand je mate un film de zombies non parodique moderne, j'ai de nombreuses occasions de soupirer. C'est un genre assez codifié et le nombre d'histoires faisant intervenir ces charmants punching-ball...
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le 18 août 2016
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Ainsi donc, du Zombie en mode Word War Z (à savoir rapide) dans un train en mode Snowpiercer, le tout en Corée. Il faut bien reconnaître qu’il y avait quand même de quoi se méfier. Et ça dure deux...
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