En cette période pour le moins confuse où la perte de terrain des idéologies laisse la place vide aux intégrismes religieux, la sortie d'un tel film est en soi salutaire et méritoire, en ceci qu'il rappelle la possibilité d'un œcuménisme interreligieux, la possibilité d'une coexistence, d'une confraternité entre des individus de confessions différentes. Cela est remarquable en vertu de l'intérêt du sujet traité, mais cela ne suffit pas à faire un grand film ; on a vu des intentions aussi louables n'avoir pas les moyens de l'entreprise.
Ce qui se développe sous nos yeux, l'aventure que nous suivons est celle d'une spiritualité en prise avec le monde. Elle se trace depuis le fond de la nuit monastique jusqu'à la pleine lumière du siècle. Et elle est un tout. La simplicité de la mise en scène répond à l'austérité de la vie conventuelle. Nul effet superflu. La justesse semble dans sa rigueur même définir le cadre d'une esthétique dont la sobriété n'a d'égale que la pureté de l'éthique dans laquelle les moines sont engagés.
Formellement le film commence par alterner plans fixes à l'intérieur du monastère et plans-séquence à l'extérieur, opposant ainsi le calme et la fixité de la vie régulière à l'agitation de la vie séculière, nous permettant de nous familiariser avec le rythme sacerdotal, d'appréhender le mode de vie de cette communauté et les liens créés avec les villageois à proximité, nous offrant une vue d'ensemble de la confrérie.
Puis arrivent les premiers évènements, les massacres commencent, la peur s'immisce, les plans se fractionnent (la belle saccade qui suit la course de la jeune algérienne courant vers le monastère). La caméra se rapproche des individus, le groupe se fracture, on distingue des personnages. Des dissensions apparaissent et se pose alors la question : doit-on rester ou partir ?
Toute la grandeur du film est là. Chercher, chercher à comprendre pourquoi ils sont restés.
On a salué le courage de ses hommes, mais on n'a rien dit si on n'a pas été voir la nature de ce courage qui se montre comme fidélité à soi.
J'invite ici les athées les plus profondément convaincus à dépasser l'anticléricalisme primaire qui pourrait motiver leur dégoût. Le parcours et les problèmes auxquels ces moines sont confrontés, la grâce qui les assure de leur conviction, la philosophie qui mène leur conduite, s'ils trouvent corps dans une confession bien particulière ne se limitent pas à elle, bien plus, leur courage rappelle celui de Socrate.
Chacun des huit frères connaîtra le doute et l'inquiétude, chacun puisera dans sa pensée, dans son activité les ressources morales ou pratiques, nécessaires à se forger la certitude de demeurer. Nul utilitarisme naïf dans ce choix, la seule conviction qu'en dehors de cette vie, qu'en dehors de ce lieu, rien pour eux n'a plus de sens. Et qu'une mort est préférable qui conserve à leurs actes, à leur conduite son sens, à une survie vidée de la substance qui les animait.
J'applaudis enfin l'effacement de l'aspect psychologique au profit de la recherche commune et fraternelle, individuelle au besoin, mais aussitôt saisie dans sa dimension philosophique, en communion avec le monde.
On sort de ce film plein d'une joie, d'une béatitude au sens spinoziste, qui se confirme comme la certitude qu'il existe un sens et une beauté et que ceux-ci se savent à qui les cherchent, qu'ils dépassent la mort et lui survivent, garantie de liberté, et qu'ils se découvrent dans l'amour qu'on porte au monde, à qui le peuple, solidaire de ses passions jusque dans ses erreurs et ses égarements.
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