Des pas dans le brouillard est un film assez curieux car il mélange les genres. Nous avons affaire à la fois à un film noir avec une intrigue criminelle, à un mélodrame victorien et à un film, dans un sens un peu politique, dans sa description des rapports entre les classes sociales. Comme le fait observer le cinéaste Bertrand Tavernier, Des pas dans le brouillard est un curieux spécimen de film noir victorien, « un film noir en costume » !
Bien que réalisé par un cinéaste américain avec des capitaux américains, le film est bien anglais et son style est on ne peut plus anglais. L’atmosphère victorienne est très réussie d’autant plus que, bien qu’il n’y ait aucun élément surnaturel, elle possède un petit parfum de film fantastique apporté par le tableau de la femme assassinée qui laisse planer comme une menace pendant tout le film.
Le début du film est particulièrement brillant car il nous présente successivement les deux personnages principaux, Stephen (Stewart Granger) et Lily (Jean Simmons) qui apparaissent au premier abord malheureux et bien sympathiques, et se révèlent en fait brutalement être des crapules de la pire espèce. Sur ce point, la première séquence est admirable car après avoir vu Stephen complètement effondré au cimetière où l’on enterre sa femme et dans la calèche qui le ramène chez lui avec quelques amis, la caméra le suit de dos pendant qu’il pénètre seul dans sa maison, sans que l’on voie son visage et, arrivé devant le tableau de sa femme qui trône dans le salon, on le voit se servir un verre, le lever à la santé de sa femme, et la caméra le contourne et montre son visage qui s’illumine d’un large sourire !
C’est probablement le chef-d’œuvre d’Arthur Lubin, réalisateur qui a au moins 80 longs-métrages à son actif, avec vraiment de très mauvais films, dont la série de films mettant en scène « Francis, le mulet qui parle » ! Là, la réalisation est impeccable et l’intérieur de la maison dans lequel se déroule la plus grande partie de l’intrigue est admirablement filmée avec des mouvements de caméra d’une grande fluidité. Le film bénéficie d’ailleurs d’une photo superbe aux couleurs flamboyantes, aussi bien dans les intérieurs, que dans de très belles scènes d’extérieur notamment les scènes avec du brouillard tournées en studio, que l’on doit au chef opérateur Christopher Challis. Enfin Stewart Granger et Jean Simmons sont excellents dans le rôle de deux crapules à la fois s’affrontant de la façon la plus vicieuse, et à la fois unies par une attirance trouble et une complicité morbide.