Après deux essais en 3D, un invisible film d’horreur probablement enterré dans le désert du Nouveau-Mexique et un remake un peu raté de L’Auberge du dragon, Tsui Hark retourne préparé à la saga du détective Dee.


Excepté les ombres, la couleur de l’image numérique est désormais maîtrisée. La parabole politique du précédent volet n’ayant pas posé problème à la sensible censure chinoise, la nouvelle histoire continue de taquiner les limites en faisant boire de la pisse à toute la cour de cette impératrice réhabilitée par Mao. Pour la lier encore plus à l’histoire contemporaine, son vaste palais composé du jaune de l’abondance et cerclé de rouge (piliers, portes...) rappelle fortement les immenses salles de réunion du parti communiste chinois au rapport de couleur inverse.


Le rythme ébouriffant se renforce. Les ennemis aisément identifiables (un monstre géant tout de même) requièrent moins de discussions et de tractations. Les informations prennent une demi-seconde, le temps de tâter une veine pour prendre un pouls et sans transition le plan suivant montre l’arrivée au galop sur un autre lieu. Plus souple que les focales, la 3D permet de gagner encore en fluidité en soulignant directement l’importance d’un objet dans l’image, faisant ainsi l’économie d’un gros plan ou d'une amorce. Et le virtuose expérimentateur hongkongais ne pouvait que se plonger dans la nouvelle technologie “plein ta gueule”.


Le jeune détective doit enquêter sur un complot mêlant une créature marine géante et un monstre anthropomorphe évoquant L’Étrange créature du lac noir (1954). L’hommage au film en relief le plus célèbre ne se limite pas à la forme du monstre d’Universal. Les fantastiques prises de vues aquatiques élevèrent ce navet pépère au rang culte et Détective Dee relève le défi esthétique de scènes d’action immergées en 3D.


Plus que l’effet de jaillissement, Tsui Hark joue sur la profondeur de la technologie. La profondeur de champ au lieu d’un tout uni se transforme en différentes strates d'image (jusqu’à cinq dans certaines salles !) qui bien utilisées auraient pu être une nouvelle forme de représentation à la manière d’un mouvement pictural. Hélas l’utilisation formellement innovante s’est faite trop rare ces dernières années pour en assurer pérennité de la technologie. Les armes pénètrent le cadre au plus profond de l’image comme elles percent la chair, la pierre, le bois et toute autre matière susceptible de voler en éclat. Son travail sur la conséquence d’une action de Time and Tide (2000) jusqu’au premier Dee, s’amplifie encore grâce à la 3D. En le détachant du plan, la course d’un objet peut être suivie de façon plus claire malgré son éloignement.


Visuellement, en plus d’être beaux la 3D sur la fumée, les cendres, l’eau et surtout les tissus donnent à l’image une texture mystérieuse et inédite.


Si les masques étaient le nœud de Détective Dee : le mystère de la flamme fantôme, la passion des tissus de Tsui Hark reprend ici la place centrale. Des étoffes couvrent le visage des personnages pour se dissimuler ou respirer dans la fumée, le pli d’un drap évoque une queue de sirène, des lanières déforment le visage ou bandent le corps, un drapeau est l’enjeu de la bataille finale, même le gigantesque monstre se cache derrière une voile du navire et la délicate soie permet d’attirer un homme au lit comme d’entraver voire d’étrangler l’ennemi. Les magnifiques robes flottantes du wu xia se déploient avec une nouvelle ampleur en 3D, leur drapé ondule avec plus de précision que dans tous les gros plans du monde.


Avec Dee, nous devrons littéralement dévoiler le mystère. Comme Alice et son miroir, la caméra traverse un rideau au début de chaque scène pour découvrir une nouvelle atmosphère. Tous ces décors, de la chambre soyeuse de la courtisane au palais étouffant par ses tapisseries sont impressionnant. La plus grande réussite, entrelacement des diverses ambiances, est l’antre du monstre aux centaines de draps fraîchement teint étendus, à la fois doux et oppressant. Quand la fin approche le sérieux prend le dessus sur la légèreté et d'épais crocs de bouchers remplacent les draps fins au plafond.


La stéréoscopie d’épate passe un niveau avec son usage sur les textures.


Mais c’est pour la narration qu’elle sert le plus. Le personnage doit apprendre à réfléchir hors du cadre plat pour réussir. Superbe scène où il regarde un plan prendre du relief pendant que sa pensée déduit le cour des événements en ville et le plonge dans les rues. Ainsi voir en relief permet de comprendre et dans cette optique Tsui Hark met en avant ou au contraire fond dans la masse des objets et personnages pour attirer l’attention sur quels éléments seront important dans le déroulement de l’action, sorte de mini-fusils de Tchekov permanents. Dans sa première scène, Dee est détouré pour le faire ressortir de la foule quand on parle de lui, mais lorsqu’il va entreprendre une action inutile il est écrasé dans la masse pour nous prévenir de son futur échec. Hormis l’action, certaines scènes prennent un autre sens par association d'idées quand par exemple des statues de divinités à l’arrière-plan se glissent au côté de personnages.


Chez Tsui Hark, la stéréoscopie s’avère essentielle à la compréhension de l’image depuis 2011. Et si les récents ratés (total de Journey to the West et mitigé du fatigué troisième Dee) laissent espérer un sursaut comme celui du premier Détective Dee, son essai Dragon gate et ses chefs d'œuvre La Bataille de la montagne du tigre et ce Dragon des mers suffisent à en faire le maître de la technologie.

Homdepaille
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le 16 déc. 2019

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