Detective Dee offre un joli contre-point à Dragon Gate tant il gomme la plupart de ses défauts. À commencer avec le script, pourtant inspiré lui aussi des «serial» à la Chu Yuan, qui me paraît beaucoup plus fluide en ne faisant pas l'erreur de se laisser disperser entre les divers personnages. En suivant de près Detective Dee, sorte de Sherlock Holmes chinois, on est de suite captivé par le petit jeu de dupes qu'il joue avec l'impératrice et son entourage avec un scénario déroulant ses enjeux à la manière de poupées russes. Le tout sans perdre le spectateur de vue, avec une aventure de haute tenue qui fait habilement l'équilibriste entre la fantasy et un certain réalisme, sans oublier une pointe de cynisme bienvenue (un sens léger de la dérision qu'on perdra malheureusement avec sa préquelle qui utilisera un humour bien trop lourdingue et mal dosé, et pourtant je suis fan des ruptures de ton à la sauce HK).
Certes la réalisation paraît plus classique et moins «folle» que dans les Tsui Hark de la grande époque, mais non seulement les CGI m'ont paru plutôt en retrait (exceptées les séquences avec le cerf, rien de sérieusement choquant) mais elle se permet de grands moments dotés d'une mise en scène bien souvent inventive (la libération de Dee, la première rencontre avec le grand officier - sensuelle à souhait - ou encore les passages dans la ville souterraine) alors qu'on a affaire pour la plupart à des acteurs non-martiaux (d'ailleurs, qu'il y ait peu d'adversaires d'envergure n'est pas très gênant tant ça colle avec la dimension tentaculaire et mystérieuse de l'intrigue où tout le monde est coupable en puissance).
Et ce qui selon moi confère à l'oeuvre une aura si particulière, c'est la mise en avant des zones grises de ses personnages. Ainsi, ni l'ex-rebelle détective Dee en charge de l'enquête, ni l'impératrice en phase d'intronisation, et encore moins le bras droit de cette dernière, apparaissent comme blanc ou noir dans cette histoire de complot aux mille dangers. Du coup, pas moyen de décrocher ses yeux de l'écran pour savoir comment ça se termine, d'autant plus que la citation de fin est juste superbe, concluant cette aventure feuilletonesque palpitante avec panache. Alors c'est clair que c'est moins virtuose et inspiré sur le plan purement formel que ce à quoi nous avait habitué Tsui Hark, mais dans le genre de l'enquête policière à la sauce Wu Xia Pian, c'est clairement l'un des meilleurs prétendants modernes (même si entre-temps on a eu Wu Xia qui constitue à mon avis une meilleure alternative à tous les niveaux).