Sauvagerie fraternisante
Entre ce quinquagénaire brutal, assassin, rustre et rural (énorme Robert Shaw) et ce jeune citadin bourgeois, fluet, malin et vraisemblablement pervers sexuel (excellent Malcom Mac Dowell),...
Par
le 1 févr. 2019
7 j'aime
Tandis que Joseph LOSEY sortait de deux superproductions aux castings incroyables, Boom (1968) et Cérémonie secrète (1968) mais qui furent des échecs commerciaux, il se vit proposer l'adaptation du roman "Figures in a landscape" de Barry England.
Losey n'aimait pas ce roman, qu'il trouvait d'abord trop violent et à qui il reprochait l'histoire, celle de deux américains poursuivis par des vietnamiens durant la guerre du Vietnam, or pour Losey c'était loin de la réalité.
C'est Robert SHAW, déjà engagé par la production pour tenir l'un des rôles principaux, mais qui était lui aussi peu convaincu par le livre, qui décida Losey à se lancer dans la réalisation après lui avoir suggéré des modifications drastiques dans le scénario, auquel il participa grandement de part ses compétences de dramaturge.
Des différents avec le producteur et un montage final enlevé à Losey, finissent de faire de la genèse de ce film un épisode compliqué dans la carrière du cinéaste.
Ses deux films précédents étaient des oeuvres d'enfermement, alors que celui-ci est un film d'extérieur, un film où la nature tient une place centrale, que ce soit les forêts, les zones désertiques ou la haute montagne et ses neiges éternelles, trois scènes qui marqueront les trois actes de l'oeuvre, j'y reviens plus tard. Losey à l'instar d'un Raoul WALSH est un cinéaste qui maîtrise parfaitement l'art de filmer l'action dans des théâtres naturels grandioses.
On y retrouve trois thèmes principaux développés, le premier est celui de la fuite, ce thème fait écho à l'expérience de Losey, qui a été une des victimes du maccarthysme et qui avait déjà traité cette préoccupation dans des films comme Haines (1950).
Le film s'ouvre sur deux hommes courant au crépuscule sur une plage, puis dans une forêt, ils ont les mains liés dans le dos, nous laissant supposer qu'ils se sont évadés, mais rien de plus nous est dévoilé. On ne connait pas, les raisons qui les ont conduits à cette situation, on ne connait pas les identités et les motivations de leurs poursuivants qui sont représentés par un mystérieux hélicoptère noir qui les harcèlera tout au long du métrage.
Ce mystère qui n'est jamais vraiment éclairci fait de ce film une oeuvre abstraite, tout en étant dans sa réalisation et son déroulement cinématographique très clair, il joue sur les codes de la fable, de l'allégorie, une tradition biblique si chère aux américains pour parler de sujets sans avoir l'air d'y toucher. Ce premier acte évoque par ses paysages, le développement de ses personnages le western.
Le deuxième acte, emprunte lui aux codes du film de guerre, si le Vietnam avec ses populations déplacés et victimes collatérales sonne comme une évidence, on pourra aussi penser à des conflits civils du continent sud américain. Ce deuxième acte permet aussi de développer un autre thème qui est celui de l'opposition entre les protagonistes, nous avons donc Robert Shaw en homme dans la force de l'âge, qui ne s'embarrasse pas de considérations morales lorsqu'il s'agit de sa survie, un homme installé, marié et père de famille, et face à lui l'accompagnant contraint et forcé dans cette fuite, Malcolm McDOWELL dans toute sa jeunesse à la fois timorée sur certains aspects de la vie et insolente sur d'autres, McDowell qui venait d'être acclamé dans If... (1968) et dont la prestation dans Deux hommes en fuite (1970) décidera Stanley KUBRICK à lui confier le rôle d'Alexander DeLarge dans son chef d'oeuvre Orange mécanique (1971).
Enfin l'acte qui conclut le film et la fuite, puise ses codes dans la psychologie des états totalitaires, le froid des éléments naturels de la haute montagne face au froid de l'arbitraire et du totalitarisme, les silences lourds, la mort comme réponse à un dernier sursaut de liberté ou la vie sauve contre une forme d'avilissement.
Film abstrait illustré par sa musique dite concrète, qui jamais ne signifie une émotion ou une réponse, où la nature écrase l'humanité pour mieux montrer son absurdité et sa faiblesse.
On saluera les exploits des deux pilotes des hélicoptères, celui qui est à l'écran et celui qui filme, tant les risques pris ont été importants, d'ailleurs ces deux pilotes se tueront quelques mois après la fin du tournage durant un autre tournage.
Ce film longtemps difficile à voir en raison de copies inaccessibles, vient de se voir offrir la chance d'une deuxième carrière, suite à l'édition d'un dvd alors je ne saurais trop vous conseiller ce film, culte pour une génération de cinéphiles et parmi les plus intéressants et les plus personnels de l'oeuvre de Joseph Losey.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de Joseph Losey, Ma collection personnelle par ordre chronologique, Les meilleurs films de 1970, TOP 250 FILMS et Watzefuk !
Créée
le 20 sept. 2022
Critique lue 26 fois
1 j'aime
D'autres avis sur Deux hommes en fuite
Entre ce quinquagénaire brutal, assassin, rustre et rural (énorme Robert Shaw) et ce jeune citadin bourgeois, fluet, malin et vraisemblablement pervers sexuel (excellent Malcom Mac Dowell),...
Par
le 1 févr. 2019
7 j'aime
Presque tous les grands cinéastes comportent dans leur filmographie un film rare ou un film très différent de leur style habituel. Avec Deux hommes en fuite Losey réunit ses 2 critères, et s'il a...
Par
le 12 juil. 2013
7 j'aime
L’abstraction revendiquée par le titre original, Figures in a Landscape, s’incarne tout entière dans cette traque au grand air qui réussit, par la force de sa mise en scène, à convertir l’espace...
le 4 mars 2021
6 j'aime
Du même critique
Rodrigo SOROGOYEN m'avait déjà fortement impressionné avec ses deux premiers longs métrages Que Dios nos perdone (2016) et El Reino (2017) et les échos que j'ai eu du précédent sorti avant celui-ci...
le 2 mai 2023
9 j'aime
2
Alors que jusqu'ici David LYNCH n'avait réalisé que quelques courts métrages expérimentaux et un premier long métrage Eraserhead (1976) qui le classaient parmi l'avant garde artistique et lui...
le 3 oct. 2022
9 j'aime
5
Retrouver la société de production de Mel BROOKS au générique de ce film n'est pas si étonnant quand on se souvient que le roi de la parodie américain avait déjà produit Elephant Man (1980).Un autre...
le 3 oct. 2022
7 j'aime
4