Les Dardenne font des films de premiers de la classe. C’est bien fait et c’est bien dit, c’est beau et c’est fort. Moi, je déteste les premiers de la classe, parce qu’avant même de corriger la copie, ça pue le 18 sur 20 comme un éternel et ennuyeux refrain.

Au cinéma, rien de m’agace plus que d’aller voir un film, parce que c’est déjà un bon film. Aussi, si je suis allée voir Deux jours, une nuit, c’est avant tout parce que je devais écrire dessus, et c’est important de le dire.

Même si j’aime les Dardenne, la bande annonce du dernier opus m’a tout de suite donné un gout de déjà-vu assez désagréable… Ah le social !

Y a-t-il plus parfait terrain pour envisager une troisième Palme d’Or, un énième plébiscite critique ?

Evidemment non. Les Dardenne – plus qu’être intelligent – sont sensibles, extrêmement sensibles même, et justes de surcroit : voilà pourquoi il n’y a pas meilleur qu’eux pour filmer ce fameux « réalisme social ». Il y a comme un don à savoir regarder et comprendre les moments de grâce de la vie des gens.

Marion Cotillard en Sarah, femme anciennement dépressive et travailleuse d’usine, ça n’était pas gagné, quand donner corps à ce personnage signifie être de tous les plans pour l’actrice oscarisée. L’immersion se fait de cette façon là, dans ce devoir rigoureux de ne jamais la quitter. Témoin de tout, nous devenons l’accompagnateur le plus intime de ces deux jours et une nuit constamment sur la brèche. Chaque seconde compte, car c’est à n’importe quel moment que l’énergie du combat peut lâcher. Cette tension tenue secrète entre elle et nous – et seulement nous – crée quelque chose d’éminemment précieux. C’est à nous que Sarah confie la vérité de son être, de son essoufflement pour la vie à sa reconsidération, nous encore qui partageons le coup de l’humiliation comme le sentiment de fierté.

Il ne s’agit pas d’un film social.

Les frères belges ne parlent pas de la dureté du chômage ou du monde ouvrier, ils parlent d’une envie de vivre. La mise en scène du film ne tend ainsi pas à raconter une histoire (qui est belle oui, sauf qu’on le sait déjà, ça), elle tend à rendre palpable une énergie vitale absolument passionnante, puisque perpétuellement questionnée. Passant de l’invisible à l’éclatement en un quart de seconde, on suit le chemin d’une funambule. L’existence alors ne ressort plus ni du constat ni du fait, mais de l’absolue volonté qui, durant deux jours et une nuit cherche en vain l’équilibre.

Les instants magnifiques sont donc très nombreux, mais là où jamais on ne les attend, et c’est sur ce point que le film prend une tournure unique dans la filmographie Dardenne. L’image accroche ce qu’il a de plus bouleversant dans la traversée d’une rue, dans l’ouverture d’une portière de voiture, dans la descente de l’escalier de la maison, tous ces instants d’avant action (conservation avec les collègues ou la famille) où Sandra convoque sa force le plus enfouie. Le film parle de ces instants-là, de ce déclic infime où l’on décide d’avancer pour réagir au monde.
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le 20 mai 2014

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