Quelques années après "la chaine", Stanley Kramer récidive en nous offrant, cette fois, un regard sur les mariages interraciaux. On n'est plus dans le milieu des taulards, on est au contraire dans un milieu aisé où Joey, 23 ans, blanche, fille de grands bourgeois intellectuels et ouverts, envisage de se marier avec John, 37 ans, noir, médecin renommé dont les parents, appartenant à la "middle class", se sont saignés aux quatre veines pour assurer les études au fiston.
Bien sûr, le scénario a un petit côté artificiel puisque l'action est censée se passer sur une demi-journée et que, sans que rien n'ait été prévu, on va réussir – naturellement - à mettre en place ce fameux diner chez les parents de Joey à San Francisco en réunissant autour du jeune couple les parents de John qui habitent à Los Angeles soit à 1 heure d'avion. Cette "facilité" dans le domaine de l'improbable donne en fait tout son charme au film sur le mode "rien ne nous arrête" ou "quand on veut, on peut". Le spectateur n'a plus qu'à se concentrer sur les personnages et leurs échanges.
Les échanges sont de deux niveaux.
Le premier, c'est le choc visuel de la découverte qui renverse instantanément l'échelle personnelle des valeurs et dont chacun peine à se remettre. Alors que Joey raconte à sa mère (Katherine Hepburn) que l'homme dont elle est amoureuse est merveilleux, cette dernière voit apparaitre, bouche bée, John dans le dos de Joey…
Le second, c'est la réaction ultérieure qui relève de l'argumentation. Il est assez saisissant de voir que le véritable échange, celui qui fait avancer le sujet, ne se déroule qu'entre deux personnes. Dès que le groupe comporte trois ou plus de personnes, la discussion ne relève plus que de la mondanité. Tout le film sera organisé en un chassé-croisé de deux personnes (le fils et son père, le père et la mère, la fille et son père, etc) où vont s'affronter les véritables enjeux.
La présence ou l'absence de préjugés sont à tous les étages. La domestique noire ne parvient pas à admettre que quelqu'un de sa race puisse avoir l'outrecuidance de lorgner sur la fille de ses patrons. À l'inverse, le jeune livreur blanc "rock and roll" trouve naturel de rendre service à la jeune fille noire sans se poser de questions.
Le point le plus remarquable étant bien sûr que les parents de Joey, aisés mais progressistes et ayant élevé Joey dans les principes de refus de la ségrégation raciale, se trouvent pris "la main dans le sac" en contradiction avec leurs propres convictions.
Ce film, c'est aussi un casting inoubliable.
Spencer Tracy joue le rôle du père de Joey et doit lutter contre des préjugés qu'il était loin d'imaginer présents chez lui. On peut intellectuellement parfaitement refuser l'idée du racisme sauf que, concrètement, quand ça vous arrive au débotté, ce n'est peut-être pas aussi facile.
La prestation de Spencer Tracy est doublement émouvante puisque c'est son dernier film et qu'on le voit jouer avec un visage fatigué ; il mourra deux semaines après le tournage. Doit-on encore dire de lui qu'il est fantastique ?
Katharine Hepburn (qui fut la compagne au long cours de Spencer Tracy) joue le rôle de la mère de Joey avec une grande justesse. L'humanisme en marche.
Sidney Poitier joue le rôle de John avec une grande finesse. C'est l'homme de raison au-delà de l'homme de passion. Excellent, comme d'habitude !
Cecil Kellaway joue le rôle de l'ami de la famille, évêque et joueur de golf ; il s'invite et joue un rôle de modérateur ou de conciliateur.
C'est une certaine Katharine Houghton, nièce de Katharine Hepburn, qui joue le rôle de Joey …
En conclusion, même si le regard de la société me semble avoir nettement évolué à propos des mariages interraciaux, je pense néanmoins que le film conserve toujours une certaine actualité sur d'autres types de ségrégations mais aussi sur la présence de préjugés face à l'autre qui est différent ou qui est étranger.