Jacques Audiard est sans aucun doute l'un des meilleurs réalisateurs français à ce jour (LE meilleur selon moi). Il est le seul à être capable de proposer des films à la fois noirs et sociaux tout en restant parfaitement crédible et en s'éloignant au maximum des clichés. Je crois que c'est cette pureté et cette justesse qui font que chacune de ses oeuvres est un régal et qu'on y rentre dedans sans aucune difficulté.


Dheepan ne déroge donc pas à la règle, en proposant une entrée en matière frontale et directe comme toujours chez Audiard, on se retrouve témoin d'une tranche de vie de cette "fausse" famille, qui va devoir mentir aux autres pour pouvoir survivre et rester en France, mais également se mentir à eux même, par rapport à leurs convictions, leurs rapports et leur passé. La mise en scène est sobre, beaucoup moins spectaculaire que ses précédents films, on retrouve toujours la parfaite utilisation de la caméra portée qu'Audiard est encore une fois l'un des seuls à véritablement maîtriser. La photographie sans être incroyable au premier abord propose dans le dernier quart du film surtout un jeu sur le rouge et le vert particulièrement intéressant; les moments sombres, en étant fréquents, sont par ailleurs très bien travaillés.


Le trio d'acteurs principaux est bluffant de justesse, et je me dois de décerner une mention spéciale à Vincent Rottiers, vu il y a quelques semaines dans Bodybuilders, qui tient ici un rôle à l'opposé du film de Roshdy Zem mais dans lequel il se révèle excellent. J'aurai quand même préféré un approfondissement du personnage qui se retrouve un peu superficiel comparé au travail psychologique effectué sur Dheepan et Yalini.


Le film accuse de quelques longueurs arrivé à la moitié et nous laisse finalement une sensation un peu amère. Contrairement à ses oeuvres précédentes, Audiard semble ici s'essouffler assez rapidement avec son sujet et ne plus trop savoir où véritablement l'emmener. A l'inverse d'un Prophète, bien huilé du début jusqu'à la fin ou d'un De rouille et d'os, sans suivre de structure particulière, qui semblait parfaitement rodé, Dheepan accuse un peu le coup à plusieurs moments, en nous laissant la sensation de tourner en rond mais également d'arriver en bout de course trop vite. L'avant dernière séquence surprend donc par son jusqu'au boutisme et par le contraste qu'elle créé avec le reste du film. Seulement, je ne la considère absolument pas comme ratée, au contraire, elle m'a complètement bluffé par sa maîtrise, l'originalité de sa construction et par le coup de poing qu'elle assène à son spectateur.


Effet voulu de la part de Jacques Audiard ? Je pense qu'à son niveau, le doute n'est pas permis et que le monsieur savait parfaitement ce qu'il faisait.


En conclusion, Dheepan est un film que je conseille sans aucun problème, clairement en dessous d'un Prophète et De Rouille et D'os, mais à des années lumières de la production cinématographique française annuelle. J'ai eu l'impression qu'Audiard n'est pas allé au bout de son sujet et qu'il aurait pu rajouter beaucoup plus de séquences marquantes, mais le fait est que le film est construit de cette manière, et je pense que c'est un choix artistique fondé, volontairement anti-spectaculaire.


Je ne me prononcerai pas sur le fait qu'il ai remporté la Palme d'Or n'ayant pas vu les autres films en compétition, peut-être un peu faiblard au vu du prestige de la récompense, mais absolument pas honteux.


A voir !

Créée

le 30 août 2015

Critique lue 546 fois

1 j'aime

Audric  Milesi

Écrit par

Critique lue 546 fois

1

D'autres avis sur Dheepan

Dheepan
Docteur_Jivago
4

L'enfer et le paradis

Trois années après De Rouille et d'os, Jacques Audiard revient avec Dheepan, tout juste auréolé d'une première palme d'or pour lui, où il va mettre en scène le destin d'un ancien soldat rebelle,...

le 29 août 2015

59 j'aime

12

Dheepan
pphf
6

Précis de décomposition pour famille en recomposition

La difficulté, tout le monde l’aura immédiatement perçue, est que l’on assiste à deux films en un, consécutifs et juxtaposés, avec un gros hiatus, un document réaliste, presque naturaliste et assez...

Par

le 21 sept. 2015

44 j'aime

7

Dheepan
guyness
5

Quand le tamoul fritte

Un des principaux reproches adressés à l'époque, de manière un peu hâtive ou au moins légère, est cette recherche frénétique du like sous toutes ses formes, sur toutes les plateformes numériques...

le 26 janv. 2016

41 j'aime

39

Du même critique

L'Anatomie du scénario
Scorcm83
8

Critique de L'Anatomie du scénario par Audric Milesi

Autant je reprocherai à ce livre son aspect dogmatique et le côté très "donneur de leçons" de John Truby, autant je ne peux que constater son utilité pour un jeune auteur qui souhaite...

le 28 nov. 2017

10 j'aime

4

Black Mirror : Blanc comme neige
Scorcm83
9

Critique de Black Mirror : Blanc comme neige par Audric Milesi

Cet épisode spécial White Christmas est un cas d'école. Il met en exergue l'importance du comédien au sein d'une oeuvre audiovisuelle. J'en fais peut-être trop, mais en cours de visionnage, c'est ce...

le 20 nov. 2016

8 j'aime

1

The Neon Demon
Scorcm83
7

Mi-Drive, Mi-OGF, un nouveau style ?

The Neon Demon est un film que j'attendais particulièrement, étant fan du travail du réalisateur danois depuis ses débuts et extrêmement intéressé par le scénario, autant dire que mes attentes...

le 22 mai 2016

7 j'aime