L'année scolaire 63-64 de deux soeurs adolescentes au lycée Jules Ferry de Paris.Cette chronique douce-amère,qui a obtenu le Prix Louis Delluc 1977,est le premier film écrit et réalisé par Diane Kurys,une actrice ratée reconvertie en cinéaste.C'est une fort jolie réussite, la dame ne fera jamais mieux lors de sa carrière,qui doit sans doute beaucoup à sa dimension autobiographique.Petit film monté à l'arrache,Kurys coproduisant avec son mec d'alors Alexandre Arcady,"Diabolo menthe" bénéficie cependant du concours de grands professionnels comme le chef opérateur Philippe Rousselot,la monteuse Joële Van Effenterre ou le musicien Yves Simon,chanteur en pleine gloire à l'époque qui signe un score élégant et interprète la chanson du générique final portant le titre de l'oeuvre."Diabolo",c'est les années 60 en direct live,recréées avec une précision impressionnante par la réalisatrice qui fait preuve pour son coup d'essai d'une étonnante maîtrise.Nous voici donc plongés dans un monde si proche qui a totalement disparu,cette France gaullienne pleine de paradoxes,oscillant entre liberté tranquille et tradition répressive.Cinq ans avant 68 les collégiennes fréquentent un lycée réservé aux filles,où toutes les profs sont des femmes,et les contacts avec les garçons sont rares et compliqués.La discipline s'exerce aussi dans le milieu familial,à l'intérieur duquel les parents n'étaient pas encore cools et savaient se faire respecter de leur progéniture,ce qui ne les empêchait nullement d'adorer leurs enfants.C'est dans ce contexte que nous découvrons les soeurs Anne et Frédérique Weber,13 et 15 ans.Elles vivent dans un appartement avec leur mère,en instance de divorce du père qui vit loin et qu'elles ne voient que pour les vacances.Kurys varie opportunément les lieux et les personnages,ainsi que les formats de plans.Si la majeure partie de l'histoire se déroule au lycée et au domicile des Weber,d'autres endroits viennent parfois aérer les débats,d'une plage de Normandie à une surprise-partie,d'un café à une abbaye,d'un bus au domicile d'une copine.L'image de Rousselot utilise astucieusement la grisaille francilienne,le montage de Van Effenterre fluidifie brillamment les enchaînements et la musique de Simon emballe talentueusement l'ensemble,relayée par de nombreux tubes de la période,celle des yéyés,de la pop music et du rock'n roll.Et Diane manie la caméra avec aisance à l'intérieur du bahut,de contre-plongées dans les escaliers en profondeur de champ dans les couloirs,de plans aériens de la cour en gros plans des filles en classe.Toute cette technique sert de plus un vrai propos,l'incertitude de cette époque charnière qu'est l'adolescence avec la découverte de l'amitié,de l'amour,du sexe,de la politique,sous la double contrainte des autorités parentale et scolaire.L'accent est particulièrement mis sur Anne,de toute évidence le double de Diane,cette gamine à la fois exaspérante et craquante.Menteuse,manipulatrice,mythomane,voleuse à l'occasion,elle souffre de la séparation de ses parents,ce père qu'elle voit peu,de son manque de goût pour les études qui lui met le corps enseignant à dos,et surtout de la différence de traitement qu'elle subit par rapport à une soeur pas tellement plus âgée qu'elle.Elle est considérée comme la petite,celle qui n'a droit à rien,pendant que sa frangine peut fréquenter les garçons,les bistrots,les boums et les réunions politiques.Le personnage bénéficie de la grâce et de la médusante justesse de la débutante Eléonore Klarwein,dont le joli minois et l'air mutin irradient le film.Frédérique a les traits d'Odile Michel,qui s'empare avec énergie de ce rôle ingrat de grande soeur en pleine émancipation qui,nonobstant son militantisme gauchiste libertaire,n'hésite pas à fliquer sa remuante cadette.Les jeunes actrices,visiblement bien dirigées par la cinéaste,sont toutes formidables,qu'il s'agisse des deux héroïnes ou de leurs copines Coralie Clément,la raisonnable Perrine,Valérie Stano,la rigolote enrobée Martine,ou Marie-Véronique Maurin,la révoltée Muriel,un des nombreux enfants acteurs de la comédienne Mado Maurin et à ce titre demie-soeur de Patrick Dewaere,mais aucune ne fera une carrière importante au cinéma,à l'exception de Corinne Dacla,la très politisée Pascale,qui sera une starlette en vue de la décennie 80 avant de disparaître de la circulation.Elle a aussi écrit les paroles du magnifique "Combien de temps" de Stephan Eicher.Ici c'est elle qui prononce le fameux et ridicule "monologue de Charonne".Côté adultes la production a eu la bonne idée,peut-être par manque de budget, d'engager de bons comédiens à la notoriété moyenne,ce qui renforce la dimension vériste de l'affaire.Anouk Ferjac est sublime dans le rôle de la mère,une femme de son temps qui lutte vaillamment sur tous les fronts.Elle doit assurer au travail,à la maison,faire face à un divorce qu'on devine compliqué et gérer deux ados en pleine explosion d'hormones.L'actrice fait passer toute une palette d'émotions et les nuances du caractère de Mme Weber,adepte de l'éducation à la dure mais qui adore ses filles.Les enseignantes et le personnel du lycée sont joués par Tsilla Chelton,la surveillante générale peau de vache,qui fut la prof de théâtre de l'équipe du Splendid,Nadine Alari en censeur sévère,Marthe Villalonga en prof d'anglais approximative,Dominique Lavanant en prof de maths en panne d'autorité,Dora Doll en prof de gym en surpoids,Denise Péron en prof de dessin sadique,Arlette Bonnard en prof d'histoire gauchiste ou Jacqueline Doyen en prof de français plus maligne que prévu.Le seul mec au milieu de ce gynécée est le concierge-homme à tout faire incarné par l'excellent Jacques Rispal.On voit passer Yves Rénier en amant photographe,Robert Rimbaud en père dépassé et Claude Confortès,qui deviendra réalisateur quatre ans plus tard avec "Le roi des cons",en commerçant libidineux.

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le 6 oct. 2023

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