Présenter un premier long-métrage en compétition officielle à Cannes a de quoi impressionner. Bien que Diamant Brut, réalisé par Agathe Riedinger, ait été éclipsé par une presse plus attirée par les stars du festival, ce film déploie des arguments solides, donnant toutes les raisons de suivre avec attention la carrière prometteuse de sa réalisatrice.
Pour son premier film, Agathe Riedinger nous esquisse le portrait d’une jeune femme de 19 ans prénommée Liane et interprétée par la prometteuse Malou Khebizi. Obnubilée par son apparence et par l'image qu'elle renvoie sur les réseaux sociaux, Liane nourrit un rêve : celui de participer à une émission de télé-réalité populaire.
Le temps du film se déploie entre deux appels : le premier, qui convie Liane à un casting, et le second, quelques semaines plus tard, qui lui révèlera si elle est sélectionnée. Entre ces deux appels on explorera toutes les émotions qui vont traverser Liane, en proie à de nombreux doutes maquillés d’une confiance en elle sincère mais fragile.
Le propos du film s’affirme dès la séquence du casting, où la directrice, invisible à l’écran, se limite à une voix hors champ qui bombarde Liane de questions emprunt d’un mépris palpable. Mépris d’autant plus évident que le spectateur, qui se retrouve de par la mise en scène quasiment aux cotés de la directrice, a tendance a partager ce regard sur les candidats de télé-réalité. Toute la suite du film va alors chercher à nous faire abandonner les a priori que l’on peut avoir sur les individus singuliers qui participent à ces émissions.
Pour nous raconter cette histoire, Agathe Riedinger utilisera avec intelligence un cadre en 4:3 et des filtres colorés qui donnent une image granuleuse rappelant les photos Instagram de mauvais goût. A l’instar de ce cadrage aujourd’hui devenu excentrique, Diamant Brut regorge de bonnes idées visuelles. La mise en scène est soignée et chaque plan nous offre une idée servant le propos. La représentation de la classe sociale à laquelle appartient Liane est particulièrement réussie. Des paysages de la banlieue de Fréjus aux choix vestimentaires, culinaires, en passant par le maquillage, les sorties et même la gestuelle, tout est dépeint avec un réalisme précis qui évite toute caricature ou condescendance.
Le film évite avec habileté tout mépris envers son personnage, car ce qui distingue Liane de son entourage n’est pas tant sa vanité que ses pulsions de vie. On découvre une véritable battante, une guerrière prête à se jeter corps et âme dans ce qu’elle perçoit comme le chemin vers son destin : s’extraire de sa classe sociale et saisir une chance d’échapper à son quotidien.
Le film nous gratifie de plusieurs scènes à l’énergie presque guerrière. Liane, par exemple, se maquille avec une intensité qui évoque un rituel tribal, son visage devenant un masque de combat avant le casting. Les pulsions de vie du personnage transparaissent également dans des séquences filmées en caméra-épaule, comme lorsqu’elle s’échappe à toute vitesse dans un parking souterrain, poursuivie par des vigiles après un vol en magasin, ou encore lorsqu’elle cède à une impulsion irrépressible et achète une robe bien trop coûteuse pour son budget sous le regard amusé et empathique de la vendeuse.
Liane veut vivre, et pour ça, elle pense devoir sortir de son milieu social. Or, en dehors de la télé-réalité et de la vente de son image (voire de son corps), elle trouve les autres chemins « fatigués », comme une fatalité, une prise de conscience de l’absence de réel ascenseur social.
Au-delà du visuel, les dialogues entre le groupe de copines sont très bien pensés. Toutes issues du même milieu, elles sont loin de partager la même obsession pour la télé-réalité. On comprend d’ailleurs que Liane a pleinement conscience qu’en intégrant ce milieu, elle servira de bête de foire méprisée par son public, mais elle s’en moque.
Agathe Riedinger a choisi de nous montrer l’attente et l’incertitude, plutôt que la préparation à la Télé-réalité. Cette approche a le mérite de nous offrir une profondeur introspective et de nous faire réfléchir sur la violence que représente la « machine télé-réalité ». Elle dévoile l'impact qu’elle peut avoir sur les individus qu’elle décide d'embarquer, ou non, et sur les espoirs qu'elle suscite. La résolution finale de l’intrigue, l’appel annonçant la sélection de Liane, prend une place secondaire, à la fois dans le film et dans la vie de Liane elle-même. Ce moment, censé être déterminant, semble presque être devenu anecdotique.
On regrettera néanmoins la faiblesse d’écriture typique d’un premier long métrage. Hormis Liane, les personnages secondaires ne sont pas particulièrement intéressants, ses copines étant cantonnées à un strict rôle fonctionnel.
Je ne prendrai qu’un exemple pour illustrer les limites de l’écriture. Le traitement de son rapport au corps et à la prostitution me semble avoir été traité de manière assez maladroite. Sur la fin du film, alors qu’elle n’a pas encore été rappelée et pense ne pas avoir été retenue, Liane se fait entraîner dans une soirée par trois quadragénaires lubriques à qui elle propose une danse en échange d’argent. L’idée est plutôt intéressante de prime à bord mais manque de profondeur. Que recherche-t-on a nous faire ressentir ? Que recherche-t-on à nous faire comprendre sur Liane et le rapport à son corps ? Est-ce une comparaison entre la télé-réalité et la prostitution ? Est-ce l’opération de désespoir d’une femme qui a centré sa vie autour de son physique et qui n’arrive pas à atteindre son objectif ? Est-ce que cette séquence cherche à nous montrer, une nouvelle fois sa force vitale qui lui permet de se sortir de cette situation ? Le métrage d‘une heure 40 aurait pu développer davantage cet aspect qui semble se poser en fin de film comme un cheveu sur la soupe.
En somme Diamant brut est un bon premier film, avec beaucoup d’idées de réalisation et nous donne envie de suivre la suite de la carrière de Agathe Riedinger. Toutefois, l’écriture manque peut-être de profondeur pour un long métrage et les réflexions pourtant intéressantes semblent parfois encore un peu superficielles