Un body horror sympa ou une révolution du genre ?

Alors, ai-je assisté au film qui allait révolutionner le body horror, comme on me l’avait promis ? Probablement pas, mais l’expérience fut agréable et le film, sans aucun doute, intéressant.

Réalisé par Coralie Fargeat, *The Substance* raconte l’histoire d’une ex-star oscarisée désormais quinquagénaire et en déclin, qui finit par perdre son statut dans l’émission d’aérobic lamentable qu’elle animait.

Commençons par les points forts du film, car ils sont nombreux. Coralie Fargeat aborde de front le traitement toxique infligé aux actrices – et aux femmes en général – par les producteurs hollywoodiens et, plus largement, par les hommes.

Ce film pourrait être un cas d’étude en sémiotique tant la mise en scène est minutieusement pensée pour servir symboliquement son propos. La nourriture, les costumes masculins, le public de l’aérobic, les couleurs : chaque élément contribue à dénoncer la violence exercée par le patriarcat sur les femmes qui entrent dans la maturité. Les références visuelles au cinéma d’horreur et fantastique sont abondantes, et même si ce n’est pas ce que je recherche d’ordinaire, il est évident qu’elles renforcent efficacement le propos.

La mise en scène est tellement soignée qu’elle se passe volontiers de dialogue pour construire l’intrigue et porter son message. En tant que spectateur sensible à un cinéma « cinématographique », j’ai apprécié l’effort et la réussite de ce point de vue.

Visuellement, c’est un petit bijou. Les effets spéciaux, en particulier pour les transformations finales, sont remarquables et permettent à eux seuls de classer *The Substance* parmi les œuvres de body horror sont on se souviendra.

Le symbolisme ne se limite pas à l’esthétique visuelle. La relation complexe entre Sue et Elisabeth, marquée par une dépendance et un mépris réciproque, est bien exploitée. Sue est une version « acceptable » d’Elisabeth, tandis qu’Elisabeth, en retour, incarne littéralement la « Matrice » dont Sue a besoin pour se nourrir et bâtir sa propre carrière.

Cependant, malgré ses réussites visuelles et sa symbolique, le film souffre d’un défaut majeur : la gestion du temps. Une esthétique et une narration volontairement cartoonesques peuvent être appréciées, mais ici, elles sont associées à un montage et à un rythme absurdes qui créent un sentiment d’incohérence globale, au détriment de la cohésion et du propos.

L’intrigue est construite comme un conte, régie par une règle simple mais incontournable que les personnages ne doivent transgresser sous peine d’en subir les conséquences. Le « protocole de la substance » impose qu’Elisabeth et Sue alternent chaque sept jours, sans exception. Ces périodes de sept jours sont au cœur de la narration, et c’est à travers elles que l’on est censé percevoir la transformation psychologique des personnages, en parallèle de la mutation corporelle d’Elisabeth. Cependant, la réalisation ne nous permet pas d’appréhender réellement le passage du temps.

La gestion de la temporalité nous prive malheureusement de cet aspect pourtant essentiel. Prenons, par exemple, la période de trois mois sans substitution avant la transformation (presque) finale. À travers une pile de nourriture, on comprend que la permutation n’a pas eu lieu durant ces trois mois. Un moment aussi crucial aurait mérité plus d’attention dans la mise en scène et le montage. L’euphorie insouciante de Sue durant ces trois mois est condensée en seulement cinq minutes, dans un film qui dure 2h20. Pourtant, cette séquence est décisive pour préparer le spectateur au twist final, qui découle de cette transgression de la règle fondamentale. C’est regrettable qu’un film de body horror consacre si peu de temps à cette étape clé.

De même, durant les semaines où Elisabeth attend son tour avec impatience, on ne perçoit jamais vraiment la notion du temps ; le montage et la mise en scène ne permettent ni de situer le spectateur dans la semaine, ni de ressentir l’ennui latent. Si cet effet est peut-être voulu, en miroir de l’absurdité du visuel final, il contribue à rompre l’immersion dans le propos, donnant l’impression de ne plus assister à un spectacle aussi sérieux que le message le mériterait.

La cohérence est souvent sacrifiée au profit de la symbolique. On ignore l’origine de la substance, l’intérêt de l’entreprise, et même les liens économiques entre les personnages – que ce soit avec la société productrice de la substance ou leurs patrons – sont absents de l’écran. C’est sans doute un choix, mais cela m’a manqué.

En somme, *The Substance* reste un film intéressant. La mise en scène soignée, la symbolique visuelle constamment au service d’un propos assumé, et les effets spéciaux en font une œuvre de body horror originale et réussie. Néanmoins, la gestion du rythme et le « trop-plein » visuel final m’empêchent de croire qu’il s’agit de cette révolution du genre annoncée.


Limoustache
6
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Créée

le 14 nov. 2024

Critique lue 2 fois

Limoustache

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