Les hommes, les ordres, la boue et l'honneur

Nous le tenons, notre grand film de guerre français. Il est pourtant loin d'être réussi et perfectible en de nombreux points, alors comment est-ce possible ? Explications.


• Le scénario est conçu simplement, les personnages distribuées de façon manichéennes entre les planqués de l'arrière, journaliste barbouze, bookmaker chinois, nationaliste vietnamien ou rond-de-cuir français, et les soldats, pas spécialement valeureux mais au cœur de l'action.


• Un casting mal exploité : nous subissons exagérément le cabotin de Donald Pleasance alors que les gueules magnifiques comme Patrick Catalifo, François Négret, Raoul Billerey en aumônier ou Patrick Chauvin sont sous-exploitées. La violoniste Ludmila Mikaël est également bien peu diserte.


• Des maladresses, un manque de rythme et de liant et de cette nécessité dramatique qui démarre les scènes de bataille, que les américains maîtrisent si bien, le sens de l'urgence et la capacité de poser rapidement et clairement des enjeux militaires.


Mais face à ces menus défauts se dressent de bien plus grands mérites. Dien Bien Phu, c'est l'hymne par excellence à l'arme française, c'est le tableau flamboyant de l'honneur, cette notion désuète que nul autre peuple que le notre n'a porté aussi haut dans l'histoire militaire, réputation reconnue encore aujourd'hui dans les pays où nos troupes se battirent.


Il y a des scènes extraordinaires : L'embarquement à contre-jour lors du premier envoi de parachutiste, avec cette prière spontanée du Padré, interrompu par un officier. La capitulation des Français et le défilement de la colonne de prisonniers : je ne sais pas comment Schoendorffer a choisi ses figurants mais en 20 secondes, on comprend l'humiliation et le désarroi de ces gamins d'une vingtaine d'année, venant de familles de tradition militaire et fières d'envoyer un fils aux paras, pris au piège dans la boue de Dien Bien Phu et que les attrapades entre Bigeard et Castries ont perdus.


• Le génie lyrique de Delerue au service de cette tragédie militaire. En un motif musical, Georges Delerue transforme les scènes d'adieux et de départ à la guerre, lieu commun du genre, en petits cristaux d'émotion. On a tendance à sous-estimer l'apport à la musique de cinéma de celui qui fut le plus grand compositeur d'après-guerre, loin devant les moulins à vent hollywoodiens.


• L'approche française de l'honneur y repose comme dans un écrin. Cette guerre inutile, ne concourant qu'à la marge aux intérêts nationaux, les soldats l'ont combattu courageusement jusqu'aux derniers jours de mai. Ce courage n'est cependant pas distribué uniformément parmi les soldats, et Schoendorffer a la finesse de nous montrer


la réaction des "rats" qui désertèrent et se terrèrent dans les collines, se faisant descendre par leurs propres compatriotes en de rares occasions.


• Enfin, bien qu'on en fut convaincu dès la scène d'exposition, il est extrêmement émouvant de découvrir en commentaire final que le film a été tourné entièrement au Vietnam, avec le concours de l'armée Vietnamienne. Beaucoup de scènes ont été tournées sur les lieux, un grand effort de reconstitution a été fourni par l'équipe de tournage, jusqu'à l'achat et le transport depuis les Etats-Unis d'avions DC3 authentiques. Le réalisateur a été présent pendant la bataille et son expérience personnelle jaillit du début à la fin du film. S'en dégage une authenticité dans la conduite de la réalisation qui jaillit de nombreuses manières, des trajectoires des soldats de la Légion aux détails de l'uniforme et des lieux qui m'a séduit et ému.


Là où les américains reconstituent des jungles de pacotille en studio pour y faire cabotiner leurs acteurs, ou entretiennent une geste boursouflée quand ils osent un tournage dans la jungle tropicale à l'instar de Coppola, Schoendorffer a simplement pris sa caméra, labouré des collines vietnamiennes et reconstitué la grande humiliation de toute une génération de jeunes patriotes.


Pour ce chef-d'oeuvre, ce panache, l'humilité de la démarche du réalisateur couplée à cette fierté française qu'on voit affleurer à tous les interstices du film, la convocation de tout le génie cinématographique national, de Delerue aux second rôles de légende, pour cette reconstitution fidèle et l'immersion jusqu'à l'ivresse dans les boues de la Nam Youm, je remercie du fond du coeur ce jeune caméraman du SCA qui a réalisé son rêve, et m'en a fait goûter la meilleure part.




PS : Et je n'écris pas ceci seulement parce que mon grand-père passa deux ans à jouer au mah-jong et inspirer l'herbe à fumée en Indochine où il se lia entre autres avec le Crabe-tambour...

Fabrizio_Salina
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le 4 janv. 2018

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