Dès l'introduction du film, tout est dit.
Une explication s'impose pour pénétrer dans l'univers de ce « Dikkenek », de la même manière que, quinze ans plus tôt, il fallait ouvrir son dictionnaire pour comprendre ce qu'allait être une fiction « pulp ».
Là aussi, comme pour le chef d'œuvre de Quentin Tarantino, le générique de début passe par la même case que son modèle en posant immédiatement sa définition.
« Dikkenek [dikkenek] : traduction littérale de gros cou, du vantard, grande gueule, monsieur ou madame je sais tout. »


Vingt secondes de films et déjà le lien entre « Dikkenek » et « Pulp Fiction » est affiché, la filiation est annoncée...
« Dikkenek » n'entend pas être un film ordinaire, avec son histoire, son héros, son schéma actantiel et tout le tralala…
« Dikkenek » est un film qui entend explorer un état d'esprit, une attitude : celle du bon vieux beauf à la belge.
…Et pas n'importe lequel d'ailleurs ! Pas le beauf belge classique ! …Mais celui qui en plus entend se la ramener, qui entend nous apprendre la vie.
D'ailleurs le film s'appelle « Dikkenek » au singulier.


Il ne s’agit donc pas de désigner une personne en particulier comme pourrait l’être par exemple le fameux JC qui nous déroule tout de suite tout son bagout sur le capot sa 305 turbo. Non, « Dikkenek » au singulier désigne un genre. Presque un art de vivre.
Et là c’est juste festival.
C’est le film choral de dikkeneks !
Et à ce jeu-là, les acteurs mobilisés s’en donnent à cœur joie. Parce que l’air de rien, pour un film de 2006, il a quand-même eu un sacré pif l’Olivier Van Hoofstadt.
Quelle brochette !
François Damiens, Marion Cotillard, Florence Foresti, Mélanie Laurent, François Pinon, Jérémie Rénier, Jean-Luc Couchard, Catherine Jacob…
Autant de talents réunis dans un film dense qui sait où il va, ça relève presque de l’heureux miracle…
…Le genre de machin qui inviterait Jules Winnfield lui-même à y voir une intervention du Divin.


« Dikkenek » n’a donc pas de véritable centre.
Il est davantage une toile comme pourrait l’être également… Eh bah comme pour l’être également « Pulp Fiction » justement.
Comme la fresque du grand QT, « Dikkenek » cherche au fond à cerner un instant, un état d'esprit plutôt qu'une réelle aventure.
Tous ces personnages se mélangeant par tout un jeu d'interconnections plus ou moins claires, au point qu’au final, la grande jonction conclusive au Zoute relève plus de l’anecdote – de l’illustration – plutôt que de l’aboutissement.
Le vrai sujet en deviendrait presque tout le décorum présenté par ce film ; toute cette culture « pulp » à la belge dans laquelle baignent en permanence nos personnages comme des frites baigneraient dans du gras de bœuf.
Ainsi tous les Big Kaluha Burger, Jacks Rabbit Slim et autres incantations faites à Fonzy sont ici remplacées par autant de fricadelles et autres bikis, par de la sauce Dallas et des bars Duvel, par des maillots Lozano et des pintes de Vedette, mais au fond le résultat est le même…
Soudainement la culture du plouc devient juste une culture à part entière et très vite les crispations suscitées par les femmes se peignant des fleurs sur la gueule ou qui donnent des chips à leur bébé se retrouvent contre-balancées par un bon son de Guinzhu et deux lesbiennes pouvant se rouler une galoche en public sans que ça ne dérange personne.
Au fond, l’univers des dikkeneks est à la fois trash mais punk, hideux mais séduisant, décadent mais libérateur.
Et quand bien même faudra-t-il peut-être se montrer un peu familier de la culture belge pour saisir toutes les références que contient ce film, le résultat est là.
Une peinture est dressée et elle s’impose à nous, affranchie de toute morale.
On est juste contraint en tant que spectateur de constater la densité, la richesse et l’incongruité de l’œuvre.
Bref, on est obligé d’accepter l’art pour ce qu’il est.


Et c’est sûrement là que – à l’image de son homologue américain – « Dikkenek » réussit son beau tour de force.
Alors qu’il ne cesse de suivre ces gigantesques brasseurs de vent que sont ces grands cous de bas-étages, ce film parvient presque à nous faire suspendre notre jugement sur ces gens qui – pourtant – sont adeptes des petits et grands larcins.
Seulement voilà, en fin de compte, quand le dikkenek fait du mal à quelqu’un c’est surtout à un autre dikkenek comme lui…


…Car au fond seule Natasha est victime de Claudy, qui est lui-même la seule vraie victime de JC, lequel au final ne moleste en définitive que Greg.


…Et ça lui arrive même parfois de faire de belles choses, quand bien même c’est totalement involontaire.


…Car à bien considérer toute cette intrigue, à quoi ont abouties toutes ces agitations absurdes pendant près d’une heure et demie ? Pour les dikkeneks : à rien. Au final chacun reste à sa place, prisonnier des mêmes problématiques qu’au début. Par contre, si on prend en considération les deux seuls vrais gentils de l’intrigue – les naïfs mais pas malfaisants Stef et Nadine – ils finissent heureux, ensemble.


…Comme quoi, même quand ils agacent et qu’ils ne servent à rien, les dikkeneks en viennent au final à faire plus de bien que mal.


Au fond, ce film nous inviterait presque à nous les faire aimer ses dikkeneks…
Et pour peu qu’on sache faire abstraction de ces gesticulateurs précoces, on pourrait voir dans la culture du beauf bruxellois quelque-chose de charmant, sans prise de tête.
Car à bien tout prendre, quand bien même Anderlecht est-il peuplé de dikkeneks, Von Hoofstadt parvient aussi à nous rappeler qu’au milieu de tous ces gens sur lesquels on porte peut-être un peu trop d’attention, il y aussi les Stef et les Nadine ; ces gens qui ne prennent personne de haut, qui savent cohabiter avec tout le monde, et qui assument leurs particularités sans avoir à en rougir.
Si ça ce n'est pas une déclaration d'amour à la culture « pulp » made in Belgium...


Alors c'est sûr – et je comprends – il en faut du courage pour se manger de pleine face ce pur concentré de comédie cynique en provenance de nos chers voisins septentrionaux.
Mais bon, qu'il est tellement agréable de jouir à nouveau du plaisir de la découverte : celle d'un nouvel univers culturel, nouvellement mis en valeur, le tout au travers d'une comédie aussi acerbe qu'elle est osée dans sa forme et dans son ton.
Alors, bien évidemment, je conçois qu'il est tellement plus facile de se retrouver dans ce qu'on connaît déjà, c'est-à-dire ces bons vieux clichés sur les Belges sortis de nulle part, et cet humour bêta digne de l'époque de Jean Lefebvre. Dany Boon en a fait son fond de commerce : pourquoi pas…
Moi je dis que, quitte à se foutre de la gueule des Belges, faisons le bien, tel que les Belges savent si bien le faire, comme ce bon vieux Olivier Von Hoofstadt en son temps.
L'humour est peut-être bien plus difficilement accessible dans des films comme ce « Dikkenek », mais au moins il est riche, réfléchi et novateur.


Alors peut-être que « Dikkenek », à l'inverse de son mentor « Pulp Fiction », n'a pas connu en son temps la gloire de l'engouement populaire et de la Palme d'or, mais j'avoue qu'au fond de moi, je reste persuadé que ce film en à la même trempe.
Sûrement saura-t-il laisser une petite trace – mais une trace durable – dans l'histoire de la comédie.
Alors je vous en prie, si vous avez l'âme d'un aventurier ou d’une aventurière, dès maintenant, devenez un pionnier : voyez « Dikkenek » !
…Parce qu'au fond, comme le dirait si bien Claudy Faucan : « au-dessus de lui il y a personne, en-dessous de lui il y a personne...… »

lhomme-grenouille
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le 18 déc. 2020

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