Profitant du fait que des avions américains sont toujours en mouvement permanent vers l’URSS dans une simple optique d’exercice, le général Ripper (Sterling Hayden) déclenche le code qui envoie les avions effectuer réellement leurs frappes. Alors que le colonel Mandrake (Peter Sellers) tente de lui faire entendre raison, le président américain (Peter Sellers) organise une réunion d’urgence pour éviter un conflit mondial avec les Russes, menace d’autant plus prégnante que seul Ripper peut arrêter les avions, et que les Russes disposent d’une « machine infernale » qui déclenchera automatiquement des frappes nucléaires sur le monde entier, sans que personne, pas même le président russe ne puisse l’en empêcher. Peut-être que le seul moyen de limiter la catastrophe sera de mettre en œuvre les conseils du docteur Folamour (Peter Sellers), ancien scientifique au service d’Hitler, qui prône des mesures assez drastiques…
Sortie en 1964, cette satire de la Guerre Froide selon Kubrick n’a plus besoin d’être présentée, tant elle a été élevée ici et là au statut de film culte. Une question se pose tout de même : sans la prestation de Peter Sellers (triplement doublé en français par le toujours excellent Roger Carel) qui interprète ici trois rôles différents, Docteur Folamour jouirait-il d’une réputation toujours aussi flatteuse ? Peut-être, mais il faut reconnaître que cette triple interprétation constitue le principal intérêt du film, Peter Sellers faisant éclater toute l’étendue de son génie, dans de nombreuses scènes plus ou moins cultes.
En ce qui concerne la réalisation de Kubrick, il n’y a pas grand-chose à y redire, quoiqu’elle reste encore à mon goût assez académique et aurait pu faire preuve d’un peu plus d’inventivité. Le réalisateur montre néanmoins qu’il maîtrise bien son film, en usant d’un réalisme qui ajoute à sa crédibilité, ou en utilisant les procédés de la caricature de manière plutôt intelligente.
La dénonciation effectuée à travers ce film apparaît tout-à-fait pertinente dans le contexte extrêmement tendu de la Guerre Froide, montrant l’incompétence désastreuse des politiciens à faire face aux urgences militaires, la réaction typique de cette période-là qui consiste à faire rejeter sur l’autre une faute dont il n’est pas coupable (le général qui accuse les communistes d’avoir causé son impuissance sexuelle, par une histoire rocambolesque d'empoisonnement de l’eau) ou critiquant efficacement la folie de l’armement qui caractérisa les gouvernements durant cette période. C'est cette dénonciation qui nous permet de regarder ce film autant comme une satire mordante et amusante sur la Guerre Froide que comme un document historique en lui-même, révélant tout un pan des mentalités de l'époque, ce qui le rend doublement intéressant.
Il est alors d’autant plus dommage que ces qualités disparaissent parfois derrière un rythme qui retombe à plusieurs reprises, ou derrière un humour qui aurait pu être davantage exploité s’il avait été plus assumé (la première moitié du film est presque dénuée d'humour, mais le film se rattrape dans sa deuxième partie), sans pour autant invalider la dénonciation. Quant à la fin, elle apparaît même complètement bâclée (j'entends déjà les cris des fans !), nous faisant passer du coq à l’âne, en sautant sans aucune raison ni transition, de la tirade finale du docteur Folamour aux célébrissimes images d’explosions nucléaires avec en fond la chanson de Vera Lynn, We’ll meet again, ce qui laisse une forte impression d’inachevé, quoique cette dernière minute clôt le film de manière tout-à-fait pertinente.
Reste que malgré ses quelques défauts et lourdeurs, Docteur Folamour comporte suffisamment de scènes cultes, la plupart dues à l’immense talent de Peter Sellers, pour qu’on goûte le sel, la loufoquerie, et l’ironie amère de Kubrick, qui ont indéfectiblement marqué leur époque jusqu'à aujourd'hui, tout en se disant qu'on a connu le réalisateur en meilleure forme.