Première,et muette,d'une longue série d'adaptations de la célèbre nouvelle de Stevenson.Ce n'est pas la meilleure version,mais le film ne démérite pas.La mise en scène de John Robertson manque de nerf et les extérieurs,peu utilisés,sentent le carton-pâte.Par contre,décorateurs et accessoiristes ont fait un beau travail sur les intérieurs,et les maquillages,ainsi que les effets spéciaux,sont très réussis compte-tenu de l'ancienneté du film.Londres,fin du 19e siècle.Le docteur Jekyll,vertueux philanthrope et chercheur acharné,invente une potion supposée séparer le Bien du Mal à l'intérieur de la psyché humaine.Il teste le produit sur lui-même et se trouve transformé pendant plusieurs heures en un monstre violent et libidineux dont la personnalité va peu à peu prendre le pas sur la sienne et le conduire au crime.L'histoire est contée de manière trop elliptique,ce qui empêche de comprendre exactement le déroulement et le but des travaux de Jekyll.Cependant,étant donné la durée du métrage,à peine plus d'une heure,et l'époque du tournage,on peut penser que des bobines ont été perdues ou trop abîmées pour être encore projetées.La narration reste toutefois assez fluide pour rendre justice au formidable texte de Stevenson,qui constitue la grande force de l'oeuvre.Il y a beaucoup de niveaux de lecture,tous passionnants,dans cette fiction.L'analyse de la nature humaine tout d'abord,prétendant à la vertu mais toujours au bord de succomber au côté obscur de la Force,comme on dit dans Star Wars.Car ne nous y trompons pas,l'argument scientifique n'est qu'un prétexte et les métamorphoses de Jekyll ne sont que l'expression d'une personnalité qui,sous des dehors irréprochables,n'en peut plus de résister aux tentations.Analyse philosophique également,l'état schizophrénique du médecin découlant de toute évidence de la pression exercée sur les hommes de l'ère victorienne par le puritanisme anglais,qui ont le choix entre sombrer dans la folie criminelle,comme Jekyll,ou vivre dans l'hypocrisie,comme ses respectables amis qui,la nuit venue,courent les bas-fonds londoniens pour se livrer à la débauche.Se dessine aussi une virulente critique politique,la misère et l'état sanitaire dramatique des quartiers pauvres étant décrits sans fard et mis en perspective avec l'aisance de la bonne société venant s'y encanailler et pouvant tout se payer,alcool,femmes ou drogue.Et bien sûr,les dangers de la science sont évoqués à travers le côté apprenti sorcier d'un Jekyll qui se trouve vite dépassé par son invention.Le livre,paru en 1886,prend même une dimension prophétique quand on voit ou nous en sommes aujourd'hui."Science sans conscience n'est que ruine de l'âme",disait déjà Rabelais.Une formule très connue affirmait qu'on n'arrête pas le progrès.C'est si vrai qu'on dirait bien que c'est le progrès qui va nous arrêter en fin de compte.John Barrymore incarne avec intensité son double rôle mais parait bizarrement affligé d'un maquillage excessif en Jekyll plus qu'en Hyde.